vendredi 3 octobre 2014

Pourquoi les policiers ne seront jamais nos alliés


Voilà, le jugement est tombé, autoritaire et irrévocable, aussi brutal qu’une masse qui s’écrase : 6 pompiers seront congédiés à la suite de la prise d’assaut de l’hôtel de ville. Le message est d’une transparence décomplexée dans ses intentions, et c’est le pouvoir qui parle : « Certes vous pouvez toujours essayer de vous révolter, dit-il avec sa suffisance habituelle, mais nous pouvons briser vos vies, saccager vos rêves et vos aspirations. ». Pour un frisson de liberté, pour l’expression d’une juste colère à l’aune des promesses brisées, le pouvoir se permet de vous jeter dans les régions sombres et oubliées de la précarité ordinaire : sans emploi du jour au lendemain, chômeur avec famille à charge, tout le poids d’une hypothèque sur les épaules, d’une hypothèque qui devient tout à coup une montagne.


On parle de saccage pour quelques vitres brisées, on parle de trouble à l’ordre démocratique, on parle d’intimidation. Les accusations habituelles, connues, attendues. Et pourtant, aucun parlementaire, à l’exception d’un simple accrochage, n’a été atteint dans son intégrité physique. Coderre a même eu le temps de faire la moue pour les lentilles qui pétillaient de joie devant son impuissance. Pompiers et cols bleus ne sont pas à confondre avec les frileux et maigrelets étudiants, ils ne sont pas faits du même moule : ils leur eussent été possible de frapper plus fort, de s’emporter jusqu’à l’excès. Mais ils ont seulement déroulé une banderole en essaimant l’hôtel de ville de leurs revendications. En termes clairs : il n’y a pas eu mort d’homme, ni même l’ombre d’un blessé.

Et le plus significatif dans cette histoire, c’est que les policiers, eux, s’en sortent encore une fois sans l’ombre d’une réprimande, sans même une petite taloche sur les doigts. Aucun congédiement, ni même de suspension, rien, nada : zéro conséquence. Les policiers qui ont regardé la scène sans broncher, le sourire moqueur, soudainement tolérant devant l’œuvre du vandalisme, bref, ces policiers si prompts à assurer le maintient de l’Ordre en 2012 peuvent continuer à dormir en paix : ils profitent toujours de la même impunité. Et pourtant, selon les critères de vérité auxquels ils répondent, et dont l’ensemble forme le système de légitimité de l’Ordre capitaliste, leur manquement est grave, très grave : ils ont laissé libre cours à un acte de rébellion. Sous leurs regards hagards et leur approbation passive, il y a eu prise d’assaut de l’hôtel de ville. Leur intérêt propre l’a alors emporté sur leur fonction première, essentielle au capitalisme : celle de maintenir l’Ordre, quelles qu’en soient les raisons qui le troublent. Après leur brutale répression du Printemps 2012, et après surtout le volontarisme avec lequel ils s’y sont employés, les déficiences de leur cohérence sont d’autant plus évidentes. Mais les conséquences de leur faute et de leur manquement sont aujourd’hui inexistantes, et pratiquement introuvables. Le pouvoir, si implacable d’ordinaire, leur offre ainsi une clémence inouïe : un traitement privilégié que ne connaitront jamais les pompiers ou les cols bleus.

Après tout, cela n’est guère étonnant : nous vivons à l’ère des privilèges. Les plus riches en jouissent chaque jour davantage et savent combien il est nécessaire de les distribuer en des points fixes pour s’assurer de maintenir l’Ordre qui autorisent leur possibilité. Et l’un de ces points fixes est sans aucun doute le service d’ordre, ou l’œuvre policière : celle qui travaille à effacer des surfaces planes de la société les éléments perturbateurs, hostiles à l’Ordre des privilèges.

Il faut concéder un traitement de faveur à celles et ceux qui maintiennent l’Ordre pour que les privilèges persistent : tel est en quelque sorte le secret le mieux partagé dans les chambres closes du pouvoir – ce secret dont nous nous refusons à assimiler la difficile vérité et les douloureuses conséquences. Et tel traitement de faveur, le pouvoir en usera au besoin. Certes, il voudra sauver les apparences de cohérence. Mais quand il en aura la chance, il ménagera l’orgueil policier. C’en est même la condition de sa survie et de son bon fonctionnement.

Soyez certain que le pouvoir eût préféré négocier les retraites policières distinctement. Il eût préféré que les policiers ne puissent s’allier avec les autres employés municipaux : ainsi eût-il pu favoriser les uns au détriment des autres, sans se risquer à déstabiliser l’Ordre qui le garde au sommet de la hiérarchie. Mais cela lui est de toute évidence impossible pour le moment. Si bien que le privilège policier passe presque inaperçu et s’exprime d’une autre façon : par la sauvegarde, entre autres, de l’impunité policière. Malgré l’évidence de leur trahison lors des évènements à l’hôtel de ville, le 18 août dernier, le pouvoir fait preuve d’une étonnante clémence à l’égard des forces de l’Ordre et persiste à les privilégier. Et ce privilège, il ne l’accorde pas sans intention : c’est pour assurer son existence qu’il l’accorde, et pour aucune autre raison.

Privilèges policiers, donc. Et privilèges, dis-je, qui visent à garder les policiers dans le giron de l’ordre. Et vous croyez toujours que nous pouvons nous solidariser avec les policiers ? C’est mal connaître la psychologie du policier. Le policier moyen est un être sans épaisseur, il est borné dans ses perspectives, étroit dans ses jugements. Sa pensée se meut sans cesse au sein de la même gamme idéologique. C’est un être faible, docile, ordinaire, qui aime les récompenses de l’obéissance. Sa force physique dissimule souvent l’impuissance de son caractère. Et soyez en sûr : aucun policier, à de rares exceptions près, ne perçoit aujourd’hui sa lutte comme une poursuite du Printemps 2012. Cela troublerait par trop ses certitudes : sa confiance surfaite qu’il trouve depuis toujours dans l’idée réconfortante qu’il est du côté du pouvoir. Si bien que le policier peut toujours grogner s’il rencontre une frustration immédiate, mais qu’à l’interpellation du pouvoir, il répondra toujours présent : c’est une question de dressage, aurait dit Nietzsche, de dressage depuis la petite enfance, de hiérarchie pulsionnelle. Le policier est bel et bien l’être humain le plus proche du chien. C’est un chien de garde dans toute sa bêtise : l’animal dressé qui jappe au besoin, puis qu’on récompense en lui balançant un os.

En sorte que jamais – et je dis bien jamais – les policiers ne se retourneront contre un Ordre et un pouvoir qui sans cesse les privilégient. Vous persistez quand même à croire le contraire, à vous abreuver au bavardage de sociaux-démocrates égarés ? Eh bien, je plains votre troublante naïveté. Et présage déjà les jours sombres de notre défaite.


vendredi 25 juillet 2014

Valls, Hollande et la fabrication de l'antisémitisme


En France, et d’autant plus depuis l’offensive israélienne à Gaza, les grands hommes du Parti socialiste ne cessent de nous balancer en pleine gueule leur désir d’en finir avec l’antisémitisme et le racisme. Ce serait même là leur volonté la plus vertueuse et la plus intouchable : volonté si noble et si immaculée de toute empreinte idéologique, en fait, que nous ne pourrions l’interroger, tant au niveau de ses moyens que de ses conséquences. Émettre une critique, aussi nuancée et hésitante soit-elle, nous ferait même basculer dans le camp de l’ennemi : dans cette nébuleuse d’extrémistes qui travailleraient à la renaissance des plus atroces tragédies de la civilisation occidentale, du nazisme à la Shoah, des pogroms aux chambres à gaz.

Mais les proclamations d’intention ne suffisent pas à la réalisation des justes idéaux. Ce n’est pas là la moindre des évidences : l’histoire regorge de terribles injustes qui furent commises au nom de nobles principes. Et depuis l’interdiction des manifestations en faveur de la Palestine, à Paris, il est tout à fait légitime de chercher à savoir si ces grands hommes du Parti socialiste combattent vraiment l’antisémitisme et le racisme. Ou s’ils participent, au contraire, à leur malheureuse fabrication dans les banlieues françaises.

Reprenons les événements archi-connus dans leur chronologie. Le 13 juillet, une première manifestation a lieu en réaction à l’offensive israélienne à Gaza. Elle se termine à quelques rues d’une synagogue. Des échauffourées ont lieu entre partisans pour la Palestine et membres de la Ligne de Défense Juive (un groupuscule sioniste d’extrême droite). Un brouillard recouvre aussitôt les affrontements. On ne sait qui sont les instigateurs. On ne saurait même partager les agresseurs des victimes. Qu’à cela ne tienne, les grands hommes du Parti socialiste ne retiennent qu’une version de l’histoire : il y aurait eu, selon eux, attaque de la synagogue sur la rue de la Roquette. À quelques exceptions près, les médias reconduisent la même version. Et naît immédiatement cette volonté d’interdire la prochaine manifestation en faveur de la Palestine.

Or, c’est ici, dans cette prise de parti à sens unique, que se joue la mise en scène qui mine l’honnêteté du combat gouvernemental contre l’antisémitisme et le racisme. En effaçant une partie de l’histoire du 13 juillet, en faisant fi de la présence de la Ligne de défense juive dans les échauffourées qui eurent lieu sur la rue de la Roquette, les dirigeants du Parti socialiste sèment le doute quant à leurs réelles intentions, et détournent un sentiment d’injuste au sein d’une communauté magrébine de France qui est déjà accablée par une réelle situation d’exclusion.

Serait-il plus légitime, se demandent alors certains français d’origine africaine, de se constituer en milice de rue quand l’on est de confession juive plutôt que musulmane ? Et n’y aurait-il pas là une énième répétition de l’injustice que vivent les français d’origine africaine et de confession musulmane sous le régime de la République française ? Bref, ne serait-ce pas là un autre exemple du « deux poids, deux mesures » que subissent, souvent reclus dans leurs banlieues misérables, les visages basanés de France ?

Questions sans doute judicieuses aux vues des évènements des dernières semaines, mais questions qui assimilent par trop un problème social et politique à un problème communautaire et religieux. On voit alors le dangereux glissement, presque imperceptible, qui s’opère à travers cette prise de parti à sens unique de Valls, Hollande et compagnie : une conflictualité sociale et politique, déjà vieille, entre les français d’origine africaine et les dirigeants de la société française – conflictualité qui repose sur la relégation presque systématique des premiers dans des quartiers de seconde zone – se superpose à autre conflictualité, étrangère et lointaine, et même s’y confond sournoisement. Et au bénéfice de qui s’opère une telle confusion ? Au bénéfice de nuls autres que celles et ceux qui la pratiquent déjà dans leurs discours, et dont l’arme rhétorique la plus puissante consiste à réduire tous les problèmes de la France aux nuisances d’un Empire sioniste. Au bénéfice, donc, de la nébuleuse politique, en montée certaine, qui se rassemble aujourd’hui autour de la figure médiatique qu’est devenu Alain Soral.

En sorte qu’au lieu d’éteindre le feu, les grands hommes du Parti socialiste l’alimentent. Quand ils ignorent les dérapages de la Ligne de Défense Juive, les discours « complotistes » s’en portent mieux. Quand ils confondent antisionisme et antisémitisme, les sentiments haineux contre les prétendus privilèges de la communauté juive profitent d’un nouveau souffle. Et disons-le sans détour : l’aboutissement inévitable d’une telle stratégie politique est assurément les émeutes de Sarcelles. D’émeutes, en 2005, contre les abus policiers et les exclusions de la société française, nous en sommes ainsi arrivés à des émeutes qui s’attaquent à des petits commerçants juifs de banlieue. Valls et Hollande s’en défendront à coup sûr, mais ils ne sont pas étrangers à ce détournement de la colère. À force de prise de parti à sens unique et de raisonnements de pensée honteux, ils ont participé, au moins partiellement, à la fabrication de l’antisémitisme dans les banlieues françaises.


mercredi 16 juillet 2014

Premières mesures révolutionnaires ou comment sortir du cycle trop connu des révolutions ratées


Nos bons gauchistes parlementaires, dans leur critique de l’anarchisme et dans la justification de leur stratégie légaliste, ne cesse de déclarer, avec une foi inébranlable en l’Ordre et l’État, que le fait insurrectionnel ne mène nulle part. Et qu’en ce sens, le réalisme le plus élémentaire nous oblige à user de la voie parlementaire pour réaliser ce qu’il est convenu de nommer, parmi les honorables gens de la gauche humaniste, la « justice sociale ». Je le sais pour en avoir fait les frais : une telle critique peut exaspérer à force d’être répétée avec les rigidités d’une suffisance close. Mais nous ne pouvons, nous qui ne croyons ni à la solution parlementaire ni à l’État moderne, l’esquiver ou même la nier. Cette critique nous force d’ailleurs à nous poser une question essentielle : comment propager, au-delà de nos cercles intimes, la conviction que l’insurrection victorieuse peut éviter les pièges des vieilles révolutions du 19e et 20e siècle – les pièges de l’élection, de la récupération et même de la réaction fascisante ? Comment, donc, se réapproprier le terrain de la réalité tout en restant fidèle à l’idée même de révolution ?

Douloureuse et délicate question, me direz-vous. C’est pourtant à celle-ci que s’attaquent Hazan et Kamo dans Premières mesures révolutionnaires. Écrit avec une plume maitrisée – qui n’est pas sans rappeler celle de L’insurrection qui vient, ce livre aussi court que riche nous invite à réfléchir aux « premières mesures révolutionnaires » d’une insurrection victorieuse, si, et surtout si, nous souhaitons en finir avec le capitalisme et l’État moderne. Il n’est donc ici d’équivoque : il s’agit de parler « depuis cette brèche d’où l’on entend craquer les fondations mêmes d’un ordre du monde finissant et bruisser les voix nouvelles ». Et même : de « rouvrir la question révolutionnaire » à travers la certitude que le vieux langage révolutionnaire ne suffit plus aux luttes actuelles et qu’il faut « trouver de nouveaux points d’appui » (p. 8) pour abattre le monde existant.

Pour Hazan et Kamo, nous vivons à l’ère du capitalisme démocratique – ce capitalisme qui aurait imposé une forme de vie ultime et totale, et dont le pouvoir réel n’appartiendrait plus au demos - au peuple - depuis déjà fort longtemps. Et l’effondrement d’un tel capitalisme, sa chute dans les musées poussiéreux de l’histoire, ne pourrait survenir par l’entremise d’une extrême gauche classique, emmêlée dans un vieux marxiste, et « dont la rhétorique est depuis longtemps inaudible, la vitalité éteinte et l’idée du bonheur parfaitement sinistre » (p. 21). La mort du capitalisme démocratique, son abolition définitive et durable, émergera plutôt d’une onde de choc qui « se propagera non par contagion – la révolution n’est pas une pathologie infectieuse – mais par diffusion de l’ébranlement, par entraînement dans la culbute » (p. 24). Toutes les conditions seraient même aujourd’hui réunies, au moins en France, pour que cette onde de choc prenne son envol et qu’une évaporation du pouvoir se matérialise, comme en Juillet 1789 lors de la Révolution, ou en mai 1968 lors de l’effondrement du gouvernement gaulliste. Si bien que le problème essentiel de la révolution, à le regarder de près – de l’intérieur de la brèche d’où l’on entend craquer les fondations du monde ancien, tournerait moins autour de la possibilité ou non de son apparition – possibilité tenue pour acquise à plus ou moins long terme – qu’autour des moyens qu’il faut mettre en œuvre pour que le moment révolutionnaire survive à la réaction : à la puissante tentation, toujours inévitable, de reconstruire l’État et le capitalisme – les deux piliers du même monstre.

Premier diagnostique : une séquence qui se reproduit à chaque moment révolutionnaire depuis le 19e siècle – « la séquence révolution populaire – gouvernement provisoire – élections – réactions » (p.33). Séquence du Printemps de 1848, séquence de la Révolution allemande de 1919, séquence de la Libération de 1944. Une séquence qui fige la révolution populaire dans une assemblée constituante pour mieux la jeter dans les bras d’un gouvernement réactionnaire à travers l’œuvre, dorénavant célèbre, des élections. D’où une première thèse : « Le plus difficile, le plus contraire au bon sens, c’est de se défaire de l’idée qu’entre avant et après, entre l’ancien régime et l’émancipation en actes, une période de transition est indispensable. » (p. 35).  Ce qu’il faut au contraire, c’est « créer immédiatement l’irréversible » : interdire au passé de faire retour.

Comment, donc, créer immédiatement l’irréversible ? Tout d’abord, en combattant la peur du chaos qui s’amalgame souvent à la peur de l’inconnu. Et aussi, en fermant les bureaux qui font rouler la bureaucratie de l’État. « Privés de leurs bureaux, ces bureaucrates seront incapables d’agir » (p. 37). Mais ce n’est pas tout. L’essentiel est même ailleurs. Pour interdire au monde ancien de renaître, il faut abolir le travail au sens classique du terme : c’est-à-dire « disjoindre travail et possibilité d’exister ». Et par là même, en finir avec l’économie : science de la mesure, et donc, science du contrôle et de l’asservissement. « Depuis ses origines, l’économie organise la servitude de telle manière que la production des esclaves soit mesurable. » (p. 47) Mais Hazan, Kamo et toute la nébuleuse révolutionnaire au nom de laquelle ils parlent ne veulent pas répéter les vieille erreurs du passé – celles des bolchéviques ou des Khmères rouges : il ne s’agit pas d’abolir subitement ou immédiatement l’argent et l’économie. « On se sort pas indemne du monde de l’économie, avertissent les auteurs » (p. 41-42). En sorte que « l’abolition de l’économie n’est pas quelque chose qui se décrète, c’est quelque chose qui se construit, de proche en proche. (p. 41) ». De proche en proche, car « le besoin de posséder pour soi les choses diminue à mesure qu’elles deviennent parfaitement et simplement accessibles » (p. 43). On ne sera alors guère surpris si le fameux revenu garanti, si cher aux sociaux-démocrates en tout genre, est écorché au passage : « [le revenu garanti] maintient cela même que le processus révolutionnaire doit abolir : la centralité de l’argent pour vivre, l’isolement de chacun face à ses besoins, l’absence de vie commune. » (p. 45).

Or, cette insistance sur l’abolition du travail obligatoire, sur la fin de l’économie, n’est pas anodine. C’est que l’abolition du travail obligatoire et de l’économie totale va de pair, presque mécaniquement, avec l’abolition de l’État moderne. Et que cette prise de position contre l’État n’est pas sans aller avec une prise de position contre « l’homme ». Au lieu de répliquer aux libéraux que l’homme émancipé sera bon – comme les marxistes l’ont maintes fois répété depuis le 19e siècle, Hazan et Kamo avancent que « l’homme » n’existe tout simplement pas. « Si l’État n’est en rien nécessaire, ce n’est pas parce que l’homme est bon mais parce que « l’homme » est un sujet produit en série par l’État et son anthropologie » (p. 55). Thèse qui tisse, sans le dire explicitement, un lien entre la naissance de l’économie politique au 18e siècle, la naissance de l’État moderne, sa gestion biopolitique des populations et l’apparition de la figure de l’homme dans le savoir occidental, et dont toute la compréhension ne peut se réaliser qu’à travers un détour vers l’œuvre de Foucault. Mais thèse dont l’essentiel tient sans doute en une seule phrase : toute abolition de l’État, du travail salarié et de l’économie totale ne surgira qu’avec l’abandon de la figure de « l’homme ».

Mais concrètement, que veut dire abandonner la figure de « l’homme », abolir l’État moderne et le travail obligatoire ? Tout d’abord, c’est revenir à l’échelle locale : « C’est à l’échelle des villages et des quartiers (…) que peut émerger une nouvelle façon collective de mettre en adéquation les besoins et les moyens de les satisfaire (…) » (p. 61). Mais c’est aussi éviter « le formalisme, l’idée que la prise de décision doit suivre une procédure standard inspirée du modèle parlementaire ». C’est même rénover ou rejeter la bonne vieille assemblée générale : « La notion même de décision doit être remise à sa juste place : les cas où il faut choisir entre deux options sont, somme toute, assez rares. S’il y a un sens à se rassembler, c’est pour élaborer l’option à laquelle on n’avait pas pensé. La bonne décision est le plus souvent une invention, soit tout le contraire des synthèses des congrès politiques » (p. 63). Ce qui conduit Hazan et Kamo, on s’en doute, à rejeter la fameuse assemblée constituante, tant revendiquée, en temps révolutionnaire, par la gauche parlementaire – chemin le plus sûr, disent-ils, pour reproduire une énième fois la vielle séquence révolutionnaire qui assure la victoire de la réaction sur le terrain des élections. Évidemment, sans État, sans exécutif parlementaire, il faudra inventer de nouvelles organisations : les auteurs avancent l’idée de groupe de travail, chaque groupe s’occupant de tâches précises à l’échelle locale. Et de tels groupes ne seraient pas composés d’élus mais de volontaires : « Une façon de procéder serait que s’y retrouvent celles et ceux qui ont envie d’y participer – qui s’intéressent à la question, qui ont réfléchi sur le sujet, qui ont ou avaient un emploi dans le secteur – bref, des volontaires » (p. 77).

Certes, nombreuses demeurent les questions laissées en suspend par Premières mesures révolutionnaires. L’une d’entre elles, à mon sens, tourne autour de la possibilité à court terme du moment révolutionnaire. Aux pires scénarios – la montée en puissance de certaines formes politiques fascisantes ou l’effondrement éternel de l’édifice social présent, Hazan et Kamo répondent toujours par l’enthousiasme révolutionnaire : « Parce que le fascisme se nourrit  de la haine de la corruption démocratique, la réaction au fascisme vient le revigorer encore en donnant l’impression de soutenir l’ordre démocratique existant. C’est la poussée révolutionnaire, l’éveil fraternel de toutes les énergies comme dit Rimbaud, qui enverra les apprentis fascistes à leur néant » (p. 104). Non que je ne sois emballé par cette thèse – au contraire, mais qu’aujourd’hui même, malgré une décomposition avancée de plusieurs sociétés européennes, la révolution ne se pointe nulle part le nez. Et qu’à défaut de révolution, il faille tout de même combattre le fascisme naissant, aussi distinct fût-il des vieilles formes qu’il prenait au 20e siècle. Cette critique étant émise, il est certain que de telles réflexions sur la révolution sont dorénavant plus que nécessaires. Aussi bien en France qu’au Québec, on ne compte plus les intellos qui abandonnent l’idée même de révolution, ou qui la regarde de haut comme si y réfléchir nous parachutait dans les parts d’ombre de la grande Raison, celle qui ne pourrait être, dirait-on, que libéral et étatiste. À la complaisance libérale d’une certaine philosophie politique si présente dans nos universités montréalaises, et qui affecte tant la pensée contestataire depuis le Printemps 2012, Premières mesures révolutionnaires répond avec force. Après la lecture de ce livre, la révolution ne nous semble plus une veille figure morte, mais une idée vivante qui brûle dans tous les cœurs révoltés, comme jadis au 19e siècle.

*Éric Hazan et Kamo, Premières mesures révolutionnaires, La fabrique éditions, 2013. 




mardi 8 juillet 2014

Week-end sanglant dans les ghettos de Chicago


L'envers du capitalisme triomphant :
la guerre de tous contre tous,
la guerre des ghettos et des quartiers durs,
la guerre que l'État moderne n'est jamais parvenu à conjurer,
à neutraliser,
à pacifier.
La guerre des pauvres et des blacks,
la guerre où les plus miséreux s'entretuent :
entre pauvres et entre blacks.

Dans une violence absolue, vertigineuse.
Une violence 
qui décime les rangs d'une jeunesse oubliée,
tuée d'une balle en pleine tête,
au coin d'une rue,
un soir d'été.
Et qui condamne les autres, les survivants, aux prisons
- aux prisons sauvages et bondées,
pour avoir tiré une balle en pleine tête,
au coin d'une rue,
un soir d'été.

Jeunesse furieuse et terrifiante,
dont nous nous détournons quand nous l'apercevons au loin,
et qui exprime pourtant toute la vérité du capitalisme,
toute sa cruauté, toute sa sauvagerie,
et toute la bêtise de sa paix.
Jeunesse vagabonde et affligée,
qui n'a pour seule supériorité cette violence intraitable,
et qui la célèbre comme son unique qualité.

Et nous, nous aurions la prétention de la grande vertu,
de la grande morale.
Nous aurions,
nous, la petite bourgeoisie planétaire,
l'arrogance de juger cette jeunesse,
de condamner sa violence
et les rafales de balles qu'elle balance en pleine rue.
Nous qui avons toujours prospéré dans la paix capitaliste,
protégé des affres du ghetto,
et de ses enfances maculés de sang, 
nous serions les grands esprits,
les seigneurs d'une merveilleuse sagesse.

Jamais de violence,
surtout jamais, disons-nous,
apeurés et affolés.
Mais nous le disons toujours avec les titres du privilège,
depuis l'intérieur de la paix capitaliste.
Et alors que nous nous entêtons à nous y réfugier,
elles et eux,
enfants du ghetto,
au Brésil ou aux States,
persistent dans l'horreur,
dans l'homicide juvénile,
comme premières victimes du capitalisme et de son Ordre.

Il n'est ainsi guère d'alternative entre la paix et la violence :
il est seulement une puissance,
une rage terrible qui est toujours là,
ingouvernable et inaltérable.
Et l'oeuvre révolutionnaire n'est pas tant de l'effacer,
ou de la juger, 
que de la retourner contre l'Ordre
et ses partisans.
Comme les Black Panthers le firent jadis,
bras droit levé au ciel,
poing noir fermé

mercredi 25 juin 2014

GND et l'enterrement du Printemps 2012


Il serait pour le moins fâcheux, pour nous anarchistes ou communistes, de museler nos réflexions aux seuls dogmes qui nous animent. Ce serait risquer l’isolement le plus solitaire, et même l'égarement dans l’activisme le plus sectaire et le plus impuissant. Nous pouvons certes travailler à la propagation du verbe révolutionnaire, ou encore à la radicalisation des mouvements politiques, mais encore faut-il savoir réfléchir notre lutte actuelle avec les forces en présence, et en l’occurrence avec les forces sociales-démocrates, aussi pénible puisse apparaître leur pensée à notre regard le plus critique. Leur stratégie pacifiste et légaliste ne s’évanouira pas en une seule nuit, et la nôtre – notre stratégie révolutionnaire – ne peut se penser autrement qu’en fonction de leur présence. Que cela nous enchante ou non.

C’est en ce sens que la lutte contre la répression policière m’a toujours apparu cruciale après 2012 : car elle parvenait à nous rassembler au-delà de nos différends, à nous unir autour d’un consensus critique. Et c’était à travers cette lutte, croyais-je aussi, que nous aurions pu revigorer la conflictualité sociale qui avait animé le Printemps : que nous aurions pu rallumer la flamme qui s’était peu à peu éteinte après la répression du mouvement.

Des querelles persistaient malgré le consensus, des stratégies s’affrontaient, des débats sur les moyens à prendre contre cette répression surgissaient sans cesse et continuaient à nous diviser. Certains favorisaient une voie pacifiste et légaliste. Et d’autres, comme moi, favorisaient une voie combative sur le terrain de la rue. Mais une unanimité nous unissait, nous rassemblait, nous fédérait – une unanimité qui portait sur ce qu’était devenue la police québécoise : une police répressive, une police qui tire et crève les yeux, une police qui tue, bref, une police à combattre, à situer dans le camp de l’ennemi.

Or, c’est justement cette unanimité, si fragile et pourtant si nécessaire, qu’affecte la dorénavant fameuse lettre ouverte de GND à cette même police.

Ne sous-estimons pas notre starlette la plus célébrée, ou l'ensemble idéologique qui s’exprime aujourd’hui à travers elle. Ce que nous dévoile sa lettre, ce n’est pas une malheureuse naïveté, une étonnante crédulité sur le corps policier et sa fonction répressive. Ou encore, un vain espoir de convaincre ses tortionnaires à travers l'œuvre sentimentale de la morale. Sa lettre nous dévoile plutôt une conception du monde. Une conception du monde étatiste et autoritaire. Et à travers un tel dévoilement, GND ne souhaite pas tant convaincre le corps policier que s'envelopper d'un halo de respectabilité devant l'État et l’Ordre, et devant tout le système parlementaire qui les maintient coûte que coûte en équilibre.

GND laisse croire que sa solidarité ne rencontre aucune frontière, que sa lutte est guidée par un amour désintéressé et universel ; et que son sens du pardon lui procure ainsi une hauteur morale. « Voyez combien vous êtes cons, dit-il en définitive aux policiers ! Voyez combien votre lutte actuelle subira les mêmes calomnies idéologiques que la lutte étudiante de 2012 ! Voyez à quel point vous avez réprimé, ajoute-t-il moraliste, un mouvement qui se battait pour une cause solidaire à la vôtre ! ». Mais notre GND national n'est pas dupe, ni d’ailleurs sa garde rapprochée qui parle à travers lui : il s’agit moins ici de convaincre les petits soldats en uniforme que de montrer patte blanche à l’Ordre. Et d’opérer ce dessein au nom du principe de solidarité. « Notre combat ne travaille pas à saper l'ordre policier, à le contredire, clame GND; il cherche plutôt à le favoriser de manière intelligente, à l'installer, confortable et bien rémunéré, dans le véhicule de la douce répression québécoise. »

Vous voyez alors la finesse politicienne de l’œuvre rhétorique ? Si GND va jusqu’à se solidariser avec les policiers, c’est qu’il cherche à dégager un terrain d’entente fictif entre partisans de l’Ordre et partisans de la solidarité collective. Et s’il cherche à dégager un tel terrain – aussi improbable soit-il, c’est pour que son discours puisse exister au sein du champ de visibilité qui est celui du parlementarisme. Mais par là même, GND efface aussitôt la ligne de conflit qui partageait militants et policiers depuis 2012, et affecte le rare consensus du milieu militant qui aurait pu réanimer la conflictualité sociale du Printemps.

Nombre d’entre vous me répliqueront que cette lettre de GND est sinon l’expression assumée de la stratégie légaliste, du moins son aboutissement le plus naturel. Et qu’il faut une bonne dose de candeur pour s’en étonner. Mais rassurez-vous : je ne m’étonne de rien. Ou de si peu. Cette lettre, sa faveur populaire, l’enthousiasme qu’elle a suscité, m’ont seulement convaincu que le Printemps 2012 est désormais un cadavre putréfié. Et qu’aujourd’hui, certains qui avaient jadis alimenté sa conflictualité sociale s’assurent, sous un concert d’applaudissements, de le recouvrir de terre dans le malheureux cimetière québécois des luttes révolutionnaires.


vendredi 30 mai 2014

L'abstention et le déficit de légitimité


Depuis la victoire du FN aux élections européennes, les français subissent jour après jour le grand récital de la morale électoraliste, si propre à nos parlementaires de gauche pour lesquels le vote, et surtout le vote de tous et toutes, incarne la solution finale à l'irrésistible montée en puissance de l'extrême droite.

Votons tous sans exception, disent en gros nos bons parlementaires de gauche, et nous anéantirons l'extrême droite et tous les sentiments haineux dont elle alimente le brasier.

Ah oui ? Faudrait seulement voter, dites-vous ? Mais voter pour qui et pour quoi ? Pour Sarko ? Pour Valls ? Pour leur amour de la police, de l’ordre et de la République ? Pour leur reprise calculée des thèmes du FN ?

Pour qui sait lire le moindrement la situation politique française, il est écrit dans le ciel que la triade Valls/Sarko/Lepen s'élèvera dans les hauteurs des sondages lors des prochaines présidentielles. Et l'heure serait encore au vote ? Il s'agirait seulement d'accomplir ce devoir moral du citoyen docile et dressé, en espérant une fois de plus, et de tout son cœur, que les français éliront le bourgeois Mélenchon et qu'ils entameront ainsi leur merveilleuse course à reculons vers la social-démocratie perdue ?

Mais ne voyez-vous pas bon Dieu que nous sommes condamnés à perdre en persistant sur le terrain électoral, en France comme au Québec ? Ne voyez-vous pas que la Représentation politique, la distance qu'elle impose entre le représenté et le représentant, le monstre d'État qu'elle participe à construire, contiennent déjà en leur sein les germes d’une force réactionnaire ? Et ne voyez-vous pas, pauvres de vous, qu'en sombrant dans la basse morale électoraliste, vous participez à offrir une légitimité à cette Représentation de merde, à cette Représentation qui est né un jour dans la tête de Hobbes l'autoritaire - l'inventeur de l'État moderne, et dont l'une des premières ambitions – aussi bien chez Hobbes durant la Guerre civile anglaise que chez ses héritiers avoués ou inavoués durant la Révolution française – fut l'anéantissement des premiers mouvements révolutionnaires de la modernité, de leur potentiel de puissance et d‘émancipation ?

Lors des dernières élections québécoises, quelques architectes de la vérité facile, toujours imbus de leurs belles convictions – si morales et si démocratiques, ne cessaient de me répéter qu'ils ne comprenaient pas le sens de l'abstention. Mais qu'avons-nous à perdre en votant, me disaient les biens pensants ? Ne donnons-nous pas ainsi un misérable dollar à QS ? Ne pouvons-nous pas ainsi consolider le vote de QS dans le Boboland montréalais, et parachuter dans les lointaines terres réactionnaires de Québec quelques gauchistes, quelques montréalais illuminés qui enseigneraient aux ignares régionaux le sens de la vérité – le sens de cette vérité que nous, montréalais, possèderions en quantité impressionnante ?

Mais si, vous le pouvez, bande de cons ! Vous pouvez aider l’œuvre de QS en votant ! Comme les français peuvent de la même façon aider le Parti de gauche !

Mais ce que vous vous refusez à voir, c’est combien, par là même, vous procurez une légitimé à toute la merde dans laquelle nous baignons, et combien le positif de votre vote – en considérant, avec beaucoup de doutes et d’ouvertures d’esprit, qu’encourager QS est un élément positif dans la lutte – est souillé par tout le négatif de cette légitimité que vous procurer à la merde ambiante. Par le même geste où vous dépêchez sœur Françoise David à Québec pour qu’elle puisse revendiquer la social-démocratie à grands coups de sermons moraux, vous offrez à Couillard la possibilité de se réclamer de la Représentation politique, et de la merveilleuse démocratie qui en dérive : celle qui aura offert aux néolibéraux le pouvoir partout en Occident, et qui aura ainsi grand ouvert le chemin au train que l’extrême droite a emprunté pour venir nous frapper en pleine gueule.

Si bien que là où il faudrait que vous sapiez la légitimité, vous la renforcez. Que là où il faudrait que vous miniez le terrain, vous le dégagez.

C’est pourquoi l’abstention est beaucoup plus affirmative que vous ne le laissez entendre. Moins pour ce qu’elle construit ou achève que pour ce qu’elle sape et contredit. Presque 60 % d’abstention, voilà, entre autres choses, ce qui sape peu à peu le pouvoir parlementaire, ce qui le contredit à chaque fois un peu plus dans chacun de ses gestes. Car s’il y a une seule chose que les élites redoutent en silence, qu’elles appréhendent avec horreur derrière les portes closes du pouvoir, c’est bien le déficit de légitimité. Qu’est-ce qui a précipité la chute de Louis XVI en 1789 ? Le déficit de légitimité. Qu’est-ce qui a caractérisé le pouvoir de l’État français avant que ne survienne la commune de Paris ? Toujours le déficit de légitimité. Et de quoi souffre aujourd'hui le gouvernement socialiste ? Encore d’un déficit de légitimité.

Si bien que nous devons sans cesse encourager par tous les moyens un tel déficit, que nous devons toujours travailler à l’approfondir. Et sachez-le : l’abstention participe à cette œuvre. Passive ou active, elle est toujours refus d’embrasser la démocratie capitaliste, refus de s’obliger à ses devoirs moraux, refus de se lever un matin d’élection pour aller se perdre dans les vains espoirs de l’isoloir. L’abstention mine d’élection en élection le rêve démocratique, le sape à même ses fondations les plus idéologiques, et ouvre ainsi la porte – fût-ce encore une porte à moitié close – à d’autres possibles, à d’autres formes de légitimité : à des positivités nouvelles qui déborderont un jour ou l'autre l’impérieuse Représentation politique.

vendredi 25 avril 2014

Matricule 728 et commission d'enquête

Écrit le 21 août 2013

Au sujet de matricule 728 et des accusations qui ne seront pas retenues contre elle. Encore une fois, on s’indigne devant l’évidence de l’injuste : on s’étonne que notre si merveilleux système de justice puisse légaliser les faits et gestes de matricule 728, lors de la manif’ de soir du 20 mai 2012. Et toute cette indignation est sans doute légitime, ou sinon compréhensible.

Mais ce qui est encore plus inquiétant – bien avant cette prévisible farce du système de justice, c’est que celles et ceux qui s’étonnent aujourd’hui de la légalité d’une telle répression seront les mêmes qui demanderont demain, pour une énième fois, une commission d’enquête. Mais que croyez-vous ? Qu’une éventuelle commission d’enquête sur le travail policier sera réellement indépendante de tout le système de justice qui s’élève sans cesse contre nous depuis le printemps ? Ou encore, que le Parti libéral, qui a largement profité de la répression politique et qui reviendra au pouvoir dans la prochaine année, sévira contre le corps policier à la suite d’une improbable commission d’enquête qui aurait fait son boulot ? Dites moi, c’est vraiment à cela que vous croyez ?

Car la malheureuse vérité – celle qui nous dérange et que l’on refuse de voir dans toute sa clarté, c’est que la stratégie légale est dorénavant vouée à l’échec. La vérité, c’est aussi que les rues montréalaises sont désertes depuis les quelques 1400 arrestations qui eurent lieu entre le Sommet de l’éducation et le 1er mai dernier. La vérité, c’est enfin que le mouvement du printemps 2012 est mort et enterré, non seulement sous les coups de la répression, mais aussi à l’intérieur de son refus entêté de s’organiser contre cette répression.

Nous vivons, mes chers et chères, à l’intérieur d’un rêve légaliste. Nous nous obstinons à revendiquer une commission d’enquête. Nous persistons à vivre dans une illusion sociale-démocrate - dans cette illusion qui s’effondre chaque jour sous nos yeux. Bref, nous espérons sauver la « société » contre elle-même. Et si nous continuons à rêver malgré tout, c’est peut-être moins par convictions politiques que par refus de se mettre en jeu – par peur d’affronter le risque politique de l’illégalité.

Pourtant, ce n’est pas devant les tribunaux que nous combattrons P6 (et encore moins, la loi des conservateurs sur les masques). Ce n’est pas non plus par un simple vote pour QS que nous stopperons le rouleau compresseur du néo-libéralisme. Non, autant à travers l’expérience de la grève que sur le territoire politique de la rue, c’est dorénavant dans l’illégalité que nous survivrons. Que nous ne serons pas assimiléEs par le quotidien du travail. Et que d’autres mouvements naitront des cendres du printemps.

Chomsky et le coût de la conférence anarchiste

Écrit le 26 août 2013

Chomsky fera 5 heures de route depuis Boston pour diffuser, à Montréal même, ses grandes connaissances dans les domaines de l'anarchie, de la politique, et de la lutte contre le capitalisme. Oui, oui, le grand homme dont parle sans cesse Baillargeon sera là sous vos yeux, avec en prime une présentation de Gabriel Nadeau-Dubois, reconnu depuis toujours et depuis longtemps pour être un grand fan de Chomsky et un grand connaisseur de son oeuvre (sic).

Le seul hic, c'est que pour entendre Chomsky - pour boire ses belles paroles aux grandes ambitions anarchistes, il faudra débourser 30$. Oui, oui, 30 beaux dollars pour acheter un « billet ». Comme lors d'un spectacle. Et Nadeau-Dubois m'a dit tout à l'heure sur son mur (avec l'approbation déprimante de tous ses p'tits amis), que tout cela est bien normal : ben oui, m'a-t-il dit, il faut bien payer l'Université de Montréal qui, elle, n'a pas voulu nous accommoder d'une salle gratuitement. Et au passage, a-t-il ajouté, on pourra financer une revue anglophone de gauche (revue, je précise, que personne ne lit au Québec...).

Mais quelle époque de merde vivons-nous! Époque où il est de toute évidence banal qu'un penseur anarchiste, célébré et reconnu de surcroit, puisse charger 30 piasses pour déballer sa salade! Époque où plusieurs le défendront comme si une telle chose était un fait commun qui ne devait d'aucune façon semer le doute tant et aussi longtemps qu'on financerait en même temps une revue d'intellos!

Mais j'aimerais seulement vous poser quelques questions, à vous militantes et militants du printemps : pensez-vous que les anarchistes espagnol(e)s, avant leur révolution de 36, chargeaient un quelconque prix pour que les ouvrier(e)s et les paysan(e)s les entendent parler de leurs projets politiques? Que leur financement se faisait à travers des conférences données dans les universités? Ou encore, pensez-vous que les intellos de mai 68 attendaient gentiment que les universités leur ouvrent grandes leurs portes pour donner des cours et des conférences? Bref, que ces intellos payaient les universités pour donner des conférences?

J'aimerais savoir, parce que c'est exactement ce que fait Chomsky, le grand anarchiste du MIT. Il descend du ciel de la grande bourgeoisie bostonienne, avec son salaire du MIT et les centaines de milliers dollars qu'il a fait par la vente de ses livres à travers le monde, pour venir vous parler, mais vous charge quand même 30$ parce que l'Université de Montréal est gérée par des hommes d'affaires. Et vous pensez vraiment que c'est ainsi que nous allons sortir les savoirs de l'université? Que notre révolution ne restera pas une révolution entre universitaires? Que nous serons soudainement plus nombreux à lutter contre le capitalisme?

Merde, on est capable d'organiser un salon du livre anarchiste où il y a plusieurs centaines de conférences, mais quand Chomsky se pointe en ville, il faut payer 30 piasses! Un peu de courage, bordel! Vous voulez absolument entendre Chomsky? Le rectorat de l'UDM vous fait chier? Et vous voulez voir, au-delà de ce que Chomsky écrit, de quel bois il se chauffe, et à quel point il partage notre lutte? Eh ben, faites une manif le jour de sa venue à Montréal, investissez l'UDM sans demander la permission à quiconque, pis donnez lui un micro, sacrament! La revue Canadian Dimension, elle, se contentera des contributions volontaires, that's it!

Célébrer la mort de Desmarais

Écrit le 11 octobre 2013

L’autre jour, j’ai fermé ma gueule. J’ai fermé ma gueule quand certains nous ont concocté une p’tite morale pour nous persuader, en quelques phrases, que célébrer la mort de Desmarais était puéril, ou même lâche. Je me suis retenu d’écrire quoi ce soit sur le sujet, puisque je connais déjà le bloc monolithique que forme une certaine gauche : je connais son orgueil et sa malheureuse suffisance, aussi bien que ses certitudes arrêtées qui s’expriment souvent sous des airs de grande tolérance.

Et je me suis dit, avec une sagesse qui m’est habituellement étrangère, à quoi bon partir une polémique que je perdrai de toute façon devant le tribunal de l’espace public facebookien, dominé très largement, surtout dans sa frange intellectuelle, par un consensus plus ou moins social-démocrate qui aime fêter sa grande civilité.

Mais hier, en feuilletant La Presse, j’ai découvert l’autre versant de la célébration : celui qui célèbre non pas la mort de Desmarais, mais sa vie de richissime. De Pratt à Foglia, de Sarkozy à Bush, et j’en passe, - tous et toutes célébraient la vie de ce prédateur qui a accumulé richesses et fortunes avec cette soif inépuisable que seuls les chacals de la pire espèce connaissent.

Et je me suis redemandé, en feuillant toujours cette feuille de choux propagandiste, mais qu’est-ce que l’on doit vraiment critiquer, nous écrivain(e)s gauchistes, nous ennemi(e)s de Desmarais ? Les cris de réjouissance de la plèbe à l’annonce de la mort de l’un de ses potentats ? Ou ce tintamarre vulgaire de la Presse qui fête la vie d’un prédateur ?

Est-ce vraiment notre rôle de moraliser le peuple, de le contenir dans ses élans de vengeance? De lui dire qu’il erre dans ses célébrations ? De révéler sa lâcheté – car la mort de Desmarais ne serait pas le fruit d’un combat révolutionnaire ? Ou d’insinuer la puérilité, pour ne pas dire l’infantilité, de ses bas instincts ?

Et vous moralistes de gauche, croyez-vous vraiment que vous êtes plus « mature » ou plus « courageux » en ne célébrant pas la mort de Desmarais ? En le critiquant seulement avec l’arme de la raison la plus vigoureuse ?

La gauche québécoise persévère souvent dans le mythe que la politique est seulement affaire de rationalité. Mais peut-être est-ce là sa plus grande erreur. La politique n’est seulement affaire de raison, mais aussi affaire de passion et d’affectif.

Si bien qu’il faudrait peut-être apprendre à cultiver une certaine rage envers les gros prédateurs milliardaires qui nous méprisent sans cesse ; et que vous soyez choqué(e)s ou non, cela passe sans doute par l’insulte, l’invective et la célébration de leur mort. Nous ne sommes pas tous des intellos, mes chères et chers ; nous ne cultivons pas tous une raison modérée devant l’injustice. Et il faudrait aussi se mettre dans le crâne que savoir contenir sa rage pour la transformer en raison critique est encore un privilège.

Certes, vous pouvez continuer à moraliser le peuple infantile si vous le souhaitez, et je sais trop que je ne vous convaincrai pas aujourd’hui. Mais personnellement, jamais je ne dirai à quiconque qu’il est lâche ou puéril de célébrer la mort de Desmarais. Surtout si, devant moi, j'ai quelqu’un qui, depuis toujours, a vécu la misère de la pauvreté - cette misère qu'autorisent et célèbrent les chacals à la Desmarais.

Et je dis bien jamais, car jamais je ne sacrifierai la rage de la misère, du moins quand elle est aussi inoffensive, sur l’autel de la morale.

Lettre à faire vomir

Écrit le 4 décembre 2013

Dans cette lettre à faire vomir, pleine de mauvaise foi, nous voilà au cœur de la pensée citoyenne. Au cœur de son chantage, de son monde binaire, de son appel à l’ordre et à la pacification autoritaire. Au cœur de son amour pour l’État et la propriété. Au cœur de sa loyauté à l’autorité des députés.

Cette lettre, qui s’adresse au Comité BAILS, et dont l’essentiel est une défense de la petite bourgeoisie citoyenniste qui, année après année, investit toujours plus massivement Hochelaga, se décline en 7 opérations. En 7 opérations qui dévoilent la pensée citoyenne dans ses détails les plus significatifs.

1ère opération : se présenter comme des gauchistes au dessus de tout soupçon. Comme des gens d’idées honorables, ouverts au dialogue, à l’échange des points de vue. Bref, comme des gens éduqués de bonne condition, sans doute universitaires, et qui ne pourraient vouloir de mal à quiconque.

« Nous sommes les fils et les filles de la social-démocratie qui a transformé le Québec contemporain. Nous sommes ceux qui payent leurs taxes et impôts avec le sentiment de contribuer à une société plus juste. Nous sommes ces citoyens ouverts sur les idées, nous sommes ceux qui permettent le financement d’organismes comme le vôtre. Nous avons marché, un carré rouge sur le coeur, pour nous assurer que le Québec ne retourne pas en arrière. »

2ème opération : s’approprier le quartier. S’en réclamer d’une appartenance égale à ces familles qui l’habitent depuis plusieurs générations, et qui y ont été enfermés en vertu de leur pauvreté presque héréditaire.

« Nos enfants sont nés dans le quartier, ils sont chez eux plus encore que vous l’êtes et nous bâtissons pour eux un environnement où ils pourront s’épanouir. »

3ème opération : réduire à sa plus simple expression la différence entre la grande pauvreté d’Hochelaga et la modeste aisance de la nouvelle classe moyenne qui l’investit. Et surtout : refuser de reconnaître, comme classe moyenne, sa condition petite bourgeoise. Et même : jouer les démunis, rivaliser sur le terrain de la pitié avec la populace historique du quartier.


« Nous ne sommes pas des bourgeois, mais de jeunes familles de la classe moyenne. La crise du logement nous a autant affectés que les plus démunis. Beaucoup des nôtres sont partis en banlieue à contrecoeur. »

4e opération : appeler à la neutralité fictionnelle d’un organisme (Comité BAILS) qui n’a pour seule pertinence que la défense d’intérêts des plus pauvres. Et appeler à cette neutralité en marquant sa différence, en revendiquant son droit d’élever ses enfants dans une culture petite bourgeoise, dans « une culture de qualité » - cette culture transmise par la famille.

«Votre organisme se doit d’être neutre politiquement et de représenter tous les citoyens dans le besoin d’un logement abordable. Y compris ceux qui désirent mettre leurs enfants en contact avec une culture de qualité et fréquenter les commerces de leur choix. Ceux qui, comme ma mère en son temps, veulent former leurs enfants dans un environnement stimulant afin qu’ils aient une vie meilleure que celle qu’eux-mêmes ont eue. »

5ème opération : se draper de pureté pour soupçonner le mal chez l’autre. Et identifier ce mal à la violence, à cette violence qui viendrait abîmer une démocratie, un dialogue, une neutralité qui lui seraient préexistants. Et cela, pour enfin jouer la carte du chantage : mais voyons, votre organisme (le Comité BAILS) n’est pas neutre, il n’est pas démocratique, m. Aspireault-Massé !

«Lorsque nous vous demandons de dénoncer les actes de violence et de vandalisme, voyez-vous, ce n’est pas pour vous soumettre. C’est pour vous affranchir d’un jupon noir qui dépasse peut-être un peu trop. Ne pas le faire suggère que vous préférez la confrontation au dialogue. Des mauvaises langues pourraient dire que vous mettez vos convictions politiques devant la mission de votre organisme. »

6ème opération : assimiler le verbe qui nomme la conflictualité sociale dans Hochelag à de la rhétorique mensongère, à de la propagande. Et exposer ce caractère mensonger ou propagandiste par la preuve de la discorde. Car celle-ci ne nous conduirait point au consensus, à la neutralité fictionnelle de la société harmonieuse et homogène, mais à la lutte entre les moins nantis et les mieux nantis, entre les éléments hétérogènes à cette société homogène et les petits propriétaires parfaitement confondus avec le maillage serré de ses dispositifs.

« Quand vous ne rectifiez pas la rhétorique mensongère, à la limite de la propagande, que vos sympathisants masqués utilisent, c’est comme si vous l’endossiez. Ils veulent cultiver le sentiment que les mieux nantis sont responsables du malheur des gens à faible revenu. Leur projet est de soulever les prolétaires contre les méchantes jeunes familles et les propriétaires de condos. Mais je ne vous apprends rien, n’est-ce pas, Monsieur Aspireault-Massé ? Le malheur, c’est que cette stratégie ne fait qu’exacerber les préjugés et polariser les positions. Bonsoir le consensus ! »

7e opération : se revendiquer de la démocratie, de l’autorité de la député, de cette député à laquelle l’on rappellera fermement pourquoi elle a été élue, en sachant très bien qu’elle sera de notre côté - du côté de la propriété, du consensus d’apparence, de la neutralité fictionnelle, de l’homogène. Bref, célébrer cette démocratie qui ne représente pas juste les pauvres (« que ça vous plaise ou non »), mais aussi les moins pauvres, et surtout les propriétaires – ceux qui sont libres et qui feront tout pour le demeurer… Quitte à faire déferler sur le quartier des vagues policières jusqu’à l'éradication complète de la racaille, des voyous, des vandales : de l’hétérogénéité.

« Madame Poirier ne fera pas une Line Beauchamp d’elle-même et, le cas échéant, nous lui rappellerons fermement pourquoi nous l’avons élue. Parce qu’effectivement, démocratiquement, nous l’avons choisie pour nous représenter tous, pauvres et moins pauvres, que ça vous plaise ou non. Encore une fois, je vous le demande ; saisissez cette occasion de faire votre travail comme jamais auparavant. Montrez-nous que votre objectif est de trouver des solutions qui correspondent à votre mandat et non de maintenir une lutte des classes au service de vos desseins politiques.
Et si, au réveil, je devais trouver un grand A sur la brique rouge de ma maison, j’inscrirai dessous : « La propriété, c’est la liberté ! »,un sourire aux lèvres. »

http://m.ledevoir.com/politique/montreal/394252/denoncez-la-violence-dans-hochelaga-maisonneuve

Le citoyen et ses peurs du vandalisme

Écrit le 1er décembre 2013

Il est souvent difficile, pour nous autonomistes, pour nous anarchistes ou communistes conséquents, d'exprimer notre hantise du citoyen. Cette belle figure politique, on la célèbre tant parmi une certaine gauche honorable qu'il devient impossible de la critiquer. On devient alors un « radical » - une sorte de lugubre penseur qui aurait perdu tout repère face au réel.

Pour QS au Québec, pour le Parti de gauche en France, pour tous les parlementaires gauchistes, la stratégie de la décennie, c'est en effet l'initiative citoyenne. C'est même, disait Mélenchon aux dernières élections, la «révolution citoyenne » : autrement dit la révolution dans la légalité, dans le parlementarisme, et finalement dans le capitalisme. C'est la révolution qui veut « changer les choses », mais qui ne veut surtout pas transformer la vie et le quotidien. C'est la révolution qui veut toujours consommer. Qui veut toujours sa petite propriété. Et ses policiers pour la défendre.

Comme citoyen, on veut certes faire la révolution, mais on veut toujours conserver nos bons restos avec leur tables d'hôtes à 25 piasses; et par là même, on veut toujours sauvegarder nos petites vies bourgeoises et nos salaires de prof ou de jeunes professionnels à 50 000 dollars par année. Comme citoyen, on aime critiquer le grand capitalisme dans ses outrances les plus grossières, mais on aime aussi sans l'avouer aux autres - et sans même se l'avouer - le capitalisme pour lui-même. On aime ses divertissements, son régime de vie, sa mode vestimentaire reproductible, ses statuts et ses hiérarchies qui nous favorisent, ses raffinements qui nous distinguent. On aime ses hypothèques et ses paiements de char. Et surtout, surtout, on aime pas ces « radicaux » qui viennent mettre à mal cette forme de vie capitaliste qu'on épouse avec tant de générosité.

Si bien que le citoyen le plus méprisable, celui qui empeste la gauche parlementaire, on le reconnaît toujours à sa propension, presque naturelle, à se faire flic : à appeler au flicage. Pour sauver sa p'tite de vie de merde, son bon resto avec ses tables d'hôtes à 25 piasses, il va toujours faire appel à la police, à la police des citoyens. Il va toujours faire appel à l'ordre homogène contre les éléments hétérogènes qui le gênent dans les mouvements de sa petite vie bourgeoise.

Ainsi nos citoyens d'Hochelag qui, rassemblés dans l'antre du milieu communautaire - le Chic Resto Pop, ont aujourd'hui appelé, par l'entremise de leur député, à la répression politique, à la résolution du conflit par le flicage : « Mme Poirier estime que pour qu'un pareil exercice de réflexion soit réellement profitable, il faut qu'une enquête policière soit menée en parallèle pour épingler le ou les responsables du vandalisme. ».

Le voilà, donc, le problème du citoyen, le voilà dans sa nudité la plus révélatrice : c'est qu'il est toujours un flic en puissance - un défenseur de la paix autoritaire, de la misérable paix capitaliste. C'est qu'au nom de sa « peur » bourgeoise, de « l'inclusion » et du simulacre vivre ensemble - où « chacun peut trouver sa place » sous l'empire du capital, il appellera sans cesse au déploiement des milices policières pour conjurer les troubles de la colère. De telle sorte qu'une fois la société policée - qu'une fois sa peur évanouie dans le réconfort de la présence policière, il puisse, dans le raffinement de son restaurant distingué, étaler les remords les plus insignifiants de sa mauvaise conscience en bavardant, une soirée durant, sur la misère qui accable le monde.