mercredi 3 juin 2015

Parizeau, les québécois et le racisme

Sans doute fallait-il s’attendre à une telle unanimité, à une telle communion par-delà les conflits partisans et les lignes de partage qui traversent le pays et le fendillent en son cœur. Comme si la grande histoire devenait lisse et immaculée pour l'occasion. Comme si le pouvoir d’État n’avait jamais usé Parizeau. Oui, tout cela était sans doute attendu. L’obligation d’enrouler le mort dans le sacré, l’appel à la suspension des jugements, et même le refus d’entendre autre chose que l’encensement de l’Homme, la célébration de l’homme d’État, de celui qui incarne et consacre le pouvoir. De Couillard à Nadeau-Dubois, des québecsolidariens les plus gauchistes aux péquistes les plus conservateurs, tous et toutes en faveur de l’unité nationale et pour le recueillement le plus harmonieux. Que des bons mots ! Que des éloges ! Que des fleurs lancées sur le tombeau !

Oui, pour celles et ceux qui ont voulu se dérober au poids de l’encensement généralisé, à sa charge massive et brutale, ce fut hier une dure journée. Ou bien fermer sa gueule, ou bien subir le poids de l’union sacrée. Et l'une de celles qui ont ouvert leurs gueules peut aujourd’hui témoigner du coût de la profanation. Partout les invectives fusent. Partout les partisans de la communion s’acharnent sur la proie dans un minable festival d’insultes : « crisse de folle », « charogne », « demi-civilisée », « sans cervelle ». Partout on s’attaque à son intelligence, à la soi-disante radicalité de son féminisme. Partout on la traine dans la boue.
 
À l’accusation de racisme a répondu une misogynie ordinaire, quotidienne, banalisée, une misogynie qui choque peu les fidèles de l’union sacrée. Pour sauvegarder le salut de la nation, tous les coups sont permis.

Et pourtant l’histoire des rapports entre Parizeau et les autochtones n’a jamais été simple. L’histoire des québécois en général envers les premières nations ne l’a jamais été non plus. Une histoire de blancs et de leurs rapports à des peuples colonisés. Une histoire commune, comme on en trouve ailleurs. Au States, au Canada anglais, en Australie, en Amérique latine. Comme on en trouvait autrefois (et qu’on en trouve encore) en Afrique et en Asie. Une histoire de colonisation. Une malheureuse histoire qui s’est déclinée en plusieurs versions, mais qui s’est toujours révélée à travers les mêmes symptômes : une ghettoïsation, une domination outrageuse, des conditions de vie inhumaines, une dignité bafouée, humiliée.

Le racisme n’a jamais été rien d’autre que rapport de domination. Domination des blanches et des blancs sur les noires et les noirs, des anglophones sur les francophones, des français et des françaises sur les arabes, des israéliens et des israéliennes sur les palestiniens et les palestiniennes, et bien sûr des francophones blancs et blanches sur les autochtones basané.es. Le racisme est la logique discursive qui avalise et endosse l’état d’avilissement des dominé.es, et qui va jusqu’à renverser les responsabilités historiques. Et par là même, le racisme appelle souvent à la répression. Des ghettos noirs quand ils se révoltent. Des réserves autochtones quand elles se soulèvent. Des colonies quand elles brisent leurs chaines.
 
Sans doute l’histoire du Québec loge-t-elle à l’enseigne de l’ambigüité. Parizeau a participé à la libération d’un peuple en partie dominé. Mais il s’agissait d’un peuple colonisé qui avait lui-même colonisé un autre peuple. D’un peuple de colonisateurs colonisé.es. Parizeau a certes combattu le racisme que son propre peuple a subi. Mais dans sa lutte pour affranchir les siens, il a parfois oublié une part de lui-même : il a parfois oublié qu’il était lui-même un colonisateur. Il a parfois oublié de tendre l’oreille vers l’autre peuple, vers le peuple basané qui était là avant les siens. Il a parfois oublié les autochtones, leurs réserves faméliques, leur pauvreté chronique, leurs maisons aux carcasses délabrées, leur perdition dans l’alcoolisme, bref, tout ce qui révèle leur situation au sein de l'ordre colonial. Il a parfois oublié, comme la lourde majorité du peuple québécois, de sonder ses responsabilités historiques, de faire preuve d’humilité. Et de tout mettre en oeuvre pour favoriser le lent démantèlement d’une domination à laquelle il participait au moins partiellement. 

Oubliez un instant la déclaration de 95, sa maladresse et son équivoque. Relisez plutôt les déclarations de Parizeau lors de la crise d’Oka, son appel à une intervention musclée contre les mohawks, sa soif de répression. Parizeau n’a pas été qu’un raciste. Mais raciste, il l’a déjà été. Comme la plupart des québécois, d’ailleurs. Et refuser aussi violemment d’entendre cette vérité participe de la domination en cours.