dimanche 23 mars 2014

Des moyens de combattre les dérives du nationalisme québécois




Au hasard du temps perdu que je passe sur facebook à suivre le fil infini de l’actualité, je suis tombé sur cette vidéo : sur cette vidéo qui semble vouloir témoigner des dérives du nationalisme québécois, et qui met en scène un pauvre type de plus de 60 ans, s’offusquant, à grand coup d’accusations fascistes, que les discours de la dernière manifestation contre la Charte des valeurs ne fussent prononcés qu’en anglais.

Or moi, le soi-disant anarchiste qui dénonce souvent le nationalisme dégénéré qui s’exprime de plus en plus au Québec, je me pose quelques questions à la suite du visionnement de cette vidéo. Et pour être plus précis : quelques questions de stratégie pour justement combattre les dérives du nationalisme québécois.

Je me demande : mais quel était l’objectif de seulement tenir des discours en anglais, de surcroît contre la Charte des valeurs et contre le colonialisme, dans un quartier majoritairement francophone – considérant que la manifestation a démarré au métro Mont-Royal (et oui, les discours ont été tenus en anglais, quoiqu’il y ait eu, comme il m’a été précisé, une animation bilingue de la manifestation) ? Était-ce seulement pour permettre à une autochtone de l’Alberta, comme il m’a aussi été précisé, de pouvoir s’exprimer contre le racisme et le colonialisme? Était-ce pour ébranler les revendications des nationalistes québécoises qui se revendiquent encore d’un certain anticolonialisme ? Et à la fin, pourquoi mettre cet hurluberlu de vieux débile sur youtube ? Pour pouvoir, à notre tour, le traiter de fasciste ?

Je pose ces questions, car je m’inquiète moi aussi de la montée d’un certain nationalisme au Québec, et je veux moi aussi le combattre à tout prix. Mais je doute que les moyens usés soient ici les meilleurs. Tout se passe, en fait, comme si nous ignorions volontairement la tortueuse et difficile histoire du Québec. Ou comme si nous faisions la preuve d’un manque flagrant de sensibilité pour la complexité du problème national québécois.

Faire discourir en anglais une autochtone dans un quartier francophone dans le but de dénoncer le colonialisme, n’est-ce pas justement oublier une partie de l’histoire ? N’est-ce pas en effet se refuser à voir une certaine dimension du problème? N’est-ce pas simplifier à tort une question complexe ?

Au risque de me faire ramasser par plusieurs camarades, j’aimerais défendre que le québécois n’est pas seulement un colonisateur : il est aussi un colonisé. Il est, pour ainsi dire, un colonisateur colonisé. Davantage colonisateur que colonisé, sans doute ; mais quand même colonisé. Et c’est seulement au prix d’une réflexion sur cette ambigüité paradoxale que nous pourrons combattre le nationalisme rampant au Québec. Sans quoi, au lieu de le combattre, nous lui insufflerons à terme une nouvelle vie, et donnerons à nos adversaires de nouveaux arguments pour alimenter la peur identitaire qui se terre, à tort ou à raison, dans l’inconscient collectif québécois.

https://www.youtube.com/watch?v=5mugodG4_SU&feature=youtu.be

jeudi 20 mars 2014

L'anonymat et l'idée du commun

La démocratie capitaliste est toujours policière : elle ne survit qu’à travers l’œuvre d’une machine de guerre répressive. Et celles et ceux qui en savent quelque chose ne sont nuls autres que celles et ceux qui la débordent et la contestent dans ses marges, et dont toute l'existence, quand elle est vraiment animée de puissance et d’émancipation, est une grande ambition, souvent vaine, d'échapper à ses dispositifs. À sa neutralisation. À son homogénéisation. À la tyrannie de sa forme de vie normalisée, impuissante, éteinte.

Elles et eux savent que cette démocratie qui a substitué la Représentation au Roi, l’aristocratie élective à la monarchie divine, l'Homme de la biopolitique au sujet du souverain, et qui aspire au salariat intégral - où toutes et tous doivent travailler sans exception, elles et eux savent, dis-je, qu'elle est implacable contre ses ennemis; elles et eux connaissent son goût prononcé pour la répression ; elles et eux reçoivent en pleine gueule la physique de son pouvoir. Et seuls elles et eux finissent par choisir l'anonymat comme tactique de lutte incontournable pour survivre au-delà de ses frontières. Pour s’effacer de sa surface de visibilité. Pour disparaître de ses radars. Pour échapper du mieux qu’ils le peuvent aux dispositifs de son capitalisme - de son capitalisme total et impérieux.

Mais l’anonymat n’est jamais, faut-il souvent le rappeler, qu’une question tactique : il est aussi une affirmation du Commun, et de la nécessité de se fondre en lui - de disparaître, comme Homme ou Individu, dans les exigences de l’égalité ; et par là même, il est avant tout révolte contre la Reconnaissance – contre cette reconnaissance capitaliste d’une individualité spectrale qui se glisse peu à peu en nous à mesure que nous nous effaçons derrière le maillage serré des dispositifs, et qui nous dérobe à la puissance la plus dangereuse, la plus nuisible à l’hégémonie capitaliste : celle que nous redécouvrons à chaque fois que nous abandonnons notre individualité fantomatique à la faveur du Commun - où toutes et tous forment une communauté d'égaux.

En sorte que l’anonymat le plus banal est déjà manifestation d’une forme de vie hétérogène au capitalisme – d’une forme de vie qui déclare la guerre à l’Homme du capitalisme, à ses prédicats, à ses figures fictionnelles : à l’individu réalisé, au sujet rationnel, au citoyen politique. Et que jamais l’acte révolutionnaire véritable ne pourra ignorer cette puissance de l’anonymat – et du Commun-iste vers lequel il nous conduit.

mercredi 12 mars 2014

Le Parti nul et l'abandon de notre déclaration de guerre

« En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d'exploitation, de dépravation, de vice, d'inégalité en un mot - qu'elles ont déversé dans les cœurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d'agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l'exploité, la prostituée et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d'égalité. »

- Piotr Kropotkine, La morale anarchiste, 1889, page 44.

Déclarer la guerre « à leur manière d'agir, à leur manière de penser », est-ce vraiment investir leur structure, leur élection, leur bulletin de vote ? Déclarer la guerre « à tout ce flot de tromperie », est-ce vraiment exprimer notre rejet viscéral de leur système électoral à l'intérieur de ce même système ? Et expliquez moi s’il vous plaît, car je m’interroge : pourquoi ce désir d’être pris en compte par leur parlementarisme, celui que nous sommes appelés à combattre ? Pourquoi prendre parti pour un Parti qui a la prétention d’être la voix des « anti-systèmes » à l'intérieur de leur système ?

Je m’en doute bien, vous me répondrez alors en me parlant de « diversité des tactiques » et de toutes les belles idées complaisantes qui brouillent les lignes de partage, et qui nous laissent croire, à nous anarchistes, que la voie électorale n'est pas à combattre, mais à emprunter, comme n’importe quelle autre voie, pour propager la bonne nouvelle révolutionnaire - telle une voie de service parlementaire que l'on emprunterait avant de s’engager sur l'autoroute de la révolution.

Mais posez-vous la question un instant. Cette persistance d'un certain désir de reconnaissance à l'intérieur du système électoral, au sein de ce parlementarisme décadent que nous combattons, n'est-ce pas la conséquence immédiate du déversement « dans les cœurs de nous tous » de ce flot d'inégalité, de vice et de tromperie ? N'est-ce pas par là que nous succombons à la tentation d’imiter « leur manière d'agir » ? N’est-ce pas en effet intérioriser « leur manière de penser » ? N'est-ce pas en somme faire les beaux et les belles devant la bête à abattre, dans l'espoir que celle-ci nous prenne de pitié et finisse par nous écouter ?

Certes, nous ne voulons pas être assimilés à l’apathie que serait l'abstention. Mais qui opère cette assimilation ? Qui nous laisse croire à de tels mensonges ? N’est-ce pas le système électoral lui-même - ce système auquel nous avons déclaré la guerre à travers notre devenir anarchiste ? Et il faudrait maintenant se soumettre à son chantage ? Lui prouver que nous ne sommes pas apathiques, en adhérant aux règles du jeu qu’il a lui-même établies ?

Déclarer la guerre à celui qui nous domine - cet acte originel de l’anarchisme - n’est pas anodin. Et n’est pas non plus sans engagement : c’est s’engager à abattre sa domination sans jamais faire de concession. Et surtout, c’est refuser d’encore et toujours adhérer aux règles du système que le maître a lui-même mises en place pour nous dominer. Sinon notre déclaration de guerre n’est qu’impuissance, faiblesse, rugissement de tigre de papier. Et alors, nous continuons peut-être à déclarer une certaine hostilité à celui qui nous domine, mais nous persistons à le consacrer comme dominant – comme celui qui décide ce qui peut être dit et non dit, fait et non fait.

Si bien qu'avec le Parti nul, le problème est moins l’appauvrissement intentionnel de l’acte abstentionniste (par l’intégration loufoque de l’abstention à l’intérieur du système électoral) que l’abandon, avoué ou dissimulé, du geste premier du devenir anarchiste – celui de la déclaration de guerre. D’où une kyrielle de paradoxes : nous voulons ainsi prouver au système électoral notre absence d’apathie, alors que nous lui prouvons au contraire une accablante apathie, une misérable faiblesse; nous espérons par là exister à l’intérieur de son espace de visibilité, alors que nous lui concédons plutôt une absence, une impuissance à le déborder ; nous souhaitons en ce sens qu'il chiffre notre existence, et qu’il ne puisse plus s’en détourner les yeux, alors que nous nous assimilons plutôt à ses logiques, à ses règles et ses codes, et que nous allons jusqu’à purifier notre anarchisme de toute sa puissance révolutionnaire.

Cessons, ma foi, de nous conter des histoires. Et cessons aussi de camoufler la terrible vérité. Il n’y a qu’une seule façon d’émerger de l’apathie, et vous la connaissez très bien : c’est la solution de la rue. Par la manifestation et l’occupation. Par la déclaration de guerre : par son engagement politique et existentiel. Comme en 2012. Et tant aussi et longtemps que nous refuserons ce constat brutal, le capitalisme qui rêve à la société homogène, au monde des dispositifs et du travail intégral, et qui assume totalement la guerre qu’il mène contre nous, contre nos formes de vie et nos volontés révolutionnaire, bref, ce capitalisme contre lequel nous luttons gagnera, lui, du terrain. Et nous, nous en perdrons.

jeudi 6 mars 2014

Réflexion sur le fascisme embryonnaire en Ukraine



Sur la question de l’Ukraine, on a peut-être droit à la propagande russe, à sa théorie « complotiste » qui voudrait que l’occident ait fomenté un coup d’état, téléguidé depuis Washington, Paris et Berlin, et dont la réalisation sur le terrain fut le fait de bandits d’extrême droite qui parcourent aujourd’hui les rues de Kiev. Mais on a aussi droit, ne l’oublions pas, à l’autre machine propagandiste, celle-là occidentale – cette propagande qui est la nôtre, et de laquelle nous avons tant de mal à nous arracher.

Cette propagande-là, elle nous dit au contraire que l’incarnation du mal dans le présent conflit, c’est la Russie post-soviétique : cette Russie qui souhaite à tout prix défendre ses positions impériales, quitte à annuler une révolution, et même à initier une guerre dont les retentissements mondiaux auront lieu le jour où la patience occidentale rencontrera les limites de sa généreuse tolérance.

Au plus près de nous, et dans sa forme la plus pure, on a pu contempler cette interprétation occidentale de la situation ukrainienne sous la plume de Ruda dans la Presse, et de Brousseau dans le Devoir. Un peu plus loin de nous, je l’ai aussi rencontré sur le site du Nouvel Observateur, sous la plume de Pascal Riché.

Selon ces journalismes, la présence fasciste, sur Maiden, n’existe pas, ou du moins sous une forme massive; elle ne doit en fait son existence idéologique qu’à la théorie « complotiste » de la Russie. Jugement brutal et catégorique qui tombe comme le poids d’une autorité morale – de cette autorité qui remet les pendules à l’heure.

Mais dans le brouillard politique d’une insurrection triomphante, qu’elle soit fasciste ou révolutionnaire, les jugements aussi tranchés se défendent mal. Des puissances politiques naissent alors d’un seul coup ; d’autres disparaissent avec le même empressement ; et souvent celles qui sont victorieuses au début finissent elles-mêmes par s’effondrer. Les Jacobins, dont le célèbre parcourt fut à la fois fulgurant et retentissant lors de la Révolution française, ne forment qu’un exemple parmi tant d’autres de ce phénomène. Ce qui était il n’y a pas si longtemps marginal se voit un jour porté aux nues jusque dans les loges du pouvoir, et le lendemain catapulté dans les musées poussiéreux de l’histoire.

Dans ces circonstances troublées de l’insurrection, puissance de rue et puissance d’État demeurent ainsi en tension permanente. Et quand l’Ordre policier vacille et que la puissance de l’État s’effondre, comme en Ukraine en ce moment, la rue s’arroge une puissance nouvelle – une puissance que nous ne connaissons point ici, en ces pays où la puissance de l’État traverse les décennies et même les siècles sans jamais faillir. Souvent, cette puissance est synonyme d’émancipation : lors de la Commune par exemple, ou encore lors de la révolution espagnole avant que celle-ci ne s’efface dans le drame de la guerre civile.

Mais parfois elle sombre aussi, à plus ou moins long terme, dans un processus réactionnaire qui travaille aussitôt à reconstruire l’État, au prix souvent d’une répression sanglante des forces révolutionnaires. Et à force de voir dans les rues de Kiev des milices en armes habillées en treillis et souvent décorées de signes clairement fascistes, et de lire les témoignages de camarades sur place qui jurent s’être faits expulser de Maidan sous la menace de gorilles fascistes, j’en viens à me persuader que la voie réactionnaire est celle qu’a malheureusement emprunté l’insurrection ukrainienne.

Et de grâce, permettez-moi d’avancer cette thèse sans m’obliger à prendre davantage parti pour les russes, ni d’ailleurs pour le fascisme rouge qui semble germer au même moment dans l’est de l’Ukraine, en ce pays qui sort tout juste d’un siècle de totalitarisme.

Vous me dites que ces milices fascistes demeurent, pour l'instant, composées de marginaux ? Citons ici Arendt, que nous pouvons difficilement soupçonner de mal connaître l’histoire du fascisme : « À ses origines, le Parti d’Hitler, presque exclusivement composé d’inadaptés, de ratés et d’aventuriers, constituait bien cette armée de bohèmes qui n’était que l’envers de la société bourgeoise (…) » (Le système totalitaire, p. 40).

Vous me dites que leur programme est confus, ou qu’il n’est pas clairement fasciste ? Je vous répondrai une nouvelle fois à travers une citation d’Arendt : « Lorsque Hitler organisa graduellement le mouvement nazi à partir à partir des effectifs obscurs et un peu fêlés d’un parti typiquement nationaliste, son exploit consista à décharger le mouvement du programme initial du parti, sans le changer ou l’abolir officiellement, mais simplement en refusant d’en parler ou d’en discuter les points, dont le contenu relativement modéré et la phraséologie furent bientôt passés de mode. ». Ou encore : « Le premier à considérer programmes et plates-formes comme d’inutiles chiffons de papier et de gênantes promesses qui contredisaient le style et l’élan du mouvement fut Mussolini avec sa philosophie fasciste de l’activisme et de l’inspiration puisée au moment historique lui-même. » (Le système totalitaire, p. 47-48)

Vous me dites enfin que leur seul pouvoir est au niveau primitif de la rue, et qu’ils sont encore loin d’avoir un poids parlementaire ? De fait, c’est déjà mal connaître la dynamique du fascisme que de poser ainsi le problème. Toujours Arendt, sur la montée du nazisme : « [La] terreur massive, qui fonctionnait sur une échelle relativement réduite, grandit régulièrement, car ni la police ni les tribunaux ne poursuivaient sérieusement les délits politiques commis par la « droite ». Cette terreur était précieuse en tant que « propagande de puissance », selon la juste expression d’un publiciste nazi : la population s’apercevait que les nazis étaient plus puissants que les autorités et qu’il était plus sûr d’être membre d’une organisation paramilitaire nazi que d’être un loyal républicain ». (Le système totalitaire, p. 70).

L’histoire moderne de ces réactions politiques à l’œuvre révolutionnaire est malheureusement riche. Mais je voudrais, pour finir, m’arrêter un instant sur un cas précis : la réaction qui eut court dans l’Italie des années 20 à la suite de l’échec révolutionnaire de l’après-guerre, et qui initia la naissance du fascisme des chemises brunes de Mussolini.

Pourquoi ce cas précis ? Car là aussi le fascisme fit une apparition aussi soudaine que nébuleuse, et là aussi les journaux aux prétentions libérales banalisèrent hâtivement le phénomène fasciste, trop heureux qu’ils furent de célébrer ses premiers effets politiques, en l’occurrence la répression de l’agitation révolutionnaire qui secouait alors l’Italie.

Lors de la montée des chemises noires de Mussolini, on lit ainsi dans les pages sérieuses du Figaro, le 28 mars 1921: « On assiste en Italie à une sérieuse réaction du pays tout entier contre la tyrannie socialiste. Le mouvement révolutionnaire de l’an dernier paraissait être uniquement dirigé contre les profiteurs de la guerre, les requins ; l’opinion publique l’avait accueilli presque avec faveur (…). Très vite, devant les excès commis par les rouges, le pays comprit qu’on allait détruire toute son énergie industrielle et il s’est ressaisi. Les fascistes ont donné à la bourgeoisie trop longtemps brimée les chefs qu’elle cherchait. (…) Parmi les fascistes, on compte des hommes venus de tous les partis, mais qu’une juste horreur des doctrines moscovites a conduits au nationalisme ».

Même indulgence à l’égard des chemises brunes, et de leur terreur réactionnaire, dans le journal Le Temps, ou encore dans L’écho de Paris, deux autres quotidiens français à la distribution jadis généreuse (voir Pierre Milza, Le fascisme italien et la Presse Française, Éditions complexe, p. 52 et suivantes).

Même complaisance dans les journaux américains. Les correspondants du New York Times en Italie demeurèrent au départ favorables à Mussolini ; et de manière générale, la presse américaine approuva son coup d’état (voir Diggins, Mussolini and Fascism – the view from america, Princeton University Presse, p. 22 et suivantes).

À la terreur rouge, disaient alors les journalistes, répond la terreur brune – cette terreur fasciste commise par des « hommes venus de tous les partis », et qui sauvera le capitalisme italien et traitera communistes et anarchistes italiens de telle façon à les éliminer de la surface politique du pays. On pardonnera ainsi les exactions répétées du fascisme, ou encore sa « propagande de puissance ». On banalisera aussi la nébuleuse autoritaire que formera son programme politique.

Et pourquoi cette banalisation ? Car les fascistes attaquaient alors les ennemis du capitalisme occidental, et les tolérer signifiait, du moins à court terme, une défense des intérêts occidentaux contre les intérêts « moscovites ».

Et pourtant, malgré cette banalisation dans les journaux libéraux, on savait déjà dans les milieux révolutionnaires ce qui se tramait, encore sourdement, dans le programme fasciste italien.

L’Humanité, célèbre journal communiste, est d’une clarté sans équivoque le 15 main 1921 : « Le programme des fascistes, tout de conservation et de réaction, les a amené nécessairement, malgré l’idéalisme de certains d’entre eux, à servir d’instrument de classe à la grande finance, à la grande industrie, à la grande propriété terrienne. (…) Le fascisme d’aujourd’hui se voue tout entier à ce but matériel : sauver l’État bourgeois de la faillite. Il est évident que ceux qui poursuivent un tel objectif ne sauraient que s’entendre avec les capitalistes et devenir leur instrument. Il n’y a pas là seulement un résidu de l’esprit belliqueux comme le laissent entendre certains socialistes : c’est l’acuité de la lutte des classes qui provoque le besoin de se défendre par la force ».

De cette histoire sur la réception immédiate du fascisme, j’espère ainsi que nous saurons prendre leçon.