mercredi 25 juin 2014

GND et l'enterrement du Printemps 2012


Il serait pour le moins fâcheux, pour nous anarchistes ou communistes, de museler nos réflexions aux seuls dogmes qui nous animent. Ce serait risquer l’isolement le plus solitaire, et même l'égarement dans l’activisme le plus sectaire et le plus impuissant. Nous pouvons certes travailler à la propagation du verbe révolutionnaire, ou encore à la radicalisation des mouvements politiques, mais encore faut-il savoir réfléchir notre lutte actuelle avec les forces en présence, et en l’occurrence avec les forces sociales-démocrates, aussi pénible puisse apparaître leur pensée à notre regard le plus critique. Leur stratégie pacifiste et légaliste ne s’évanouira pas en une seule nuit, et la nôtre – notre stratégie révolutionnaire – ne peut se penser autrement qu’en fonction de leur présence. Que cela nous enchante ou non.

C’est en ce sens que la lutte contre la répression policière m’a toujours apparu cruciale après 2012 : car elle parvenait à nous rassembler au-delà de nos différends, à nous unir autour d’un consensus critique. Et c’était à travers cette lutte, croyais-je aussi, que nous aurions pu revigorer la conflictualité sociale qui avait animé le Printemps : que nous aurions pu rallumer la flamme qui s’était peu à peu éteinte après la répression du mouvement.

Des querelles persistaient malgré le consensus, des stratégies s’affrontaient, des débats sur les moyens à prendre contre cette répression surgissaient sans cesse et continuaient à nous diviser. Certains favorisaient une voie pacifiste et légaliste. Et d’autres, comme moi, favorisaient une voie combative sur le terrain de la rue. Mais une unanimité nous unissait, nous rassemblait, nous fédérait – une unanimité qui portait sur ce qu’était devenue la police québécoise : une police répressive, une police qui tire et crève les yeux, une police qui tue, bref, une police à combattre, à situer dans le camp de l’ennemi.

Or, c’est justement cette unanimité, si fragile et pourtant si nécessaire, qu’affecte la dorénavant fameuse lettre ouverte de GND à cette même police.

Ne sous-estimons pas notre starlette la plus célébrée, ou l'ensemble idéologique qui s’exprime aujourd’hui à travers elle. Ce que nous dévoile sa lettre, ce n’est pas une malheureuse naïveté, une étonnante crédulité sur le corps policier et sa fonction répressive. Ou encore, un vain espoir de convaincre ses tortionnaires à travers l'œuvre sentimentale de la morale. Sa lettre nous dévoile plutôt une conception du monde. Une conception du monde étatiste et autoritaire. Et à travers un tel dévoilement, GND ne souhaite pas tant convaincre le corps policier que s'envelopper d'un halo de respectabilité devant l'État et l’Ordre, et devant tout le système parlementaire qui les maintient coûte que coûte en équilibre.

GND laisse croire que sa solidarité ne rencontre aucune frontière, que sa lutte est guidée par un amour désintéressé et universel ; et que son sens du pardon lui procure ainsi une hauteur morale. « Voyez combien vous êtes cons, dit-il en définitive aux policiers ! Voyez combien votre lutte actuelle subira les mêmes calomnies idéologiques que la lutte étudiante de 2012 ! Voyez à quel point vous avez réprimé, ajoute-t-il moraliste, un mouvement qui se battait pour une cause solidaire à la vôtre ! ». Mais notre GND national n'est pas dupe, ni d’ailleurs sa garde rapprochée qui parle à travers lui : il s’agit moins ici de convaincre les petits soldats en uniforme que de montrer patte blanche à l’Ordre. Et d’opérer ce dessein au nom du principe de solidarité. « Notre combat ne travaille pas à saper l'ordre policier, à le contredire, clame GND; il cherche plutôt à le favoriser de manière intelligente, à l'installer, confortable et bien rémunéré, dans le véhicule de la douce répression québécoise. »

Vous voyez alors la finesse politicienne de l’œuvre rhétorique ? Si GND va jusqu’à se solidariser avec les policiers, c’est qu’il cherche à dégager un terrain d’entente fictif entre partisans de l’Ordre et partisans de la solidarité collective. Et s’il cherche à dégager un tel terrain – aussi improbable soit-il, c’est pour que son discours puisse exister au sein du champ de visibilité qui est celui du parlementarisme. Mais par là même, GND efface aussitôt la ligne de conflit qui partageait militants et policiers depuis 2012, et affecte le rare consensus du milieu militant qui aurait pu réanimer la conflictualité sociale du Printemps.

Nombre d’entre vous me répliqueront que cette lettre de GND est sinon l’expression assumée de la stratégie légaliste, du moins son aboutissement le plus naturel. Et qu’il faut une bonne dose de candeur pour s’en étonner. Mais rassurez-vous : je ne m’étonne de rien. Ou de si peu. Cette lettre, sa faveur populaire, l’enthousiasme qu’elle a suscité, m’ont seulement convaincu que le Printemps 2012 est désormais un cadavre putréfié. Et qu’aujourd’hui, certains qui avaient jadis alimenté sa conflictualité sociale s’assurent, sous un concert d’applaudissements, de le recouvrir de terre dans le malheureux cimetière québécois des luttes révolutionnaires.