Quand j’ai pris connaissance de la lettre des
quatorze profs de l’UQAM, je ne m’en suis guère offusqué. C’est du réchauffé,
me suis-je dit. Une telle lettre était même attendue. Prévost, De Block, Bauer,
Couture, qui d’autres pour l’écrire ? Nuls autres ! Ils remplissent même
leur fonction à merveille, ai-je alors pensé. Rien de plus, rien de moins. Et tels
des chiots de garde, pour reprendre Nizan, leurs timides jappements trouveront
naturellement échos dans les cris primaires de la droite tapageuse.
Mais j’avais mal mesuré, voyez-vous, combien
une partie de la gauche, de la gauche à l’esprit étriqué, toujours drapée dans les
vertus d’une moralité si démocratique, toujours assommante avec ses bons sentiments
et ses désirs de justice libérale, – j’avais mal mesuré, dis-je, combien cette
gauche avait tout le potentiel pour embrasser une telle caricature de la
situation : une telle caricature dessinée dans le seul but d’ameuter les
libidineux de l’ordre et autres frileux partisans – oh combien nombreux à
la direction de l’UQAM ! – du resserrement de la sécurité.
Selon cette vénérable gauche, il y aurait un
malaise à l’UQAM. Et ce malaise aurait pour origine les anarchistes, les
radicaux, les masqués, les vandales : tous ceux et toutes celles qui ne
respectent ce que la gauche progressiste, elle, respecte à tout prix, la
démocratie, le vivre ensemble, le dialogue. Chaque mouvement doit se remettre
en question pour progresser et admettre ses écarts, prétend-elle. Et les luttes
de l’UQAM seraient de ces écarts : des égarements dont nous devrions nous repentir.
Or, il faut relire Prévost pour comprendre à
quelle caricature cette honorable gauche donne raison : « Depuis quelques
années, en effet, notre université est en proie aux agissements d’une minorité:
empêchement du déroulement des cours par des commandos autoproclamés et parfois
masqués, intimidations, harcèlement, bousculades, actes de vandalisme et
saccages, perturbations de réunions et de conférences, grèves à
répétition. ».
Rien de moins que des commandos : des
commandos qui feraient respecter des votes de grève ! Des hordes ! écrit-il
aussi plus loin. Des hordes qui saccageraient jusqu’à épuiser les maigres
ressources de l’UQAM ! Un peu plus, et je vous jure qu’on penserait lire
la description du peuple de Paris dans un pamphlet réactionnaire du 19e
siècle. Même choix lexical, même mépris qui caricature à dessein, même décalage
avec le réel.
Et Bauer, sioniste convaincu qui supporte la
guerre et la politique de colonisation d’Israël et qui traite de débile toute
personne d’avis contraire, de dévoiler dans le JDM d’hier l’intention
dissimulée de cette lettre : « On nous promet maintenant une grève
générale pour le printemps. Cela nuit objectivement à la qualité de la
formation et à la valeur du diplôme ». Et Martineau, dans même la feuille
de choux, de vomir à son tour sur la vermine révolutionnaire. Et Marie-France
Bazzo et Josée Boileau d’en rajouter ce matin.
Voulez-vous que je vous dise ? Cette alliance
entre la droite de l’ordre et la gauche de la morale, c’est avec elle qu’il
faut rompre si nous désirons, un jour, gagner nos luttes. Il faut rompre avec
l’unité fictive d’une société à préserver. Il faut rompre avec l’idée qu’il
persisterait un dialogue à entamer. Il faut rompre avec la moralité d’une
action politique intégralement neutralisée. Avec Bauer le colonisateur, avec le
sous-ministre conservateur, avec la direction de l’UQAM et son hymne à l’entreprise,
il n’y a plus de dialogue possible. Il y a seulement un conflit, une lutte, un
rapport de force : des interprétations irréconciliables du monde.
Voulez-vous que je vous dise ? Ce qui se passe à l’UQAM, c’est ce qui devrait être partout ailleurs. Dans les universités, dans les CÉGEP. Dans tous les milieux de travail où il y a des luttes syndicales. Je ne vous parle pas de lutte armée ni même d’émeutes, non, je vous parle de l’UQAM : je vous parle de faire grève, de maintenir cette grève coute que coute et d’en assurer le respect par tous les moyens nécessaires. Je vous parle d’exister : de refuser physiquement leurs ordres, de nuire à leur plan, de perturber leurs réunions et leurs salons. Je vous parle d’investir les lieux où nous ne sommes pas invités et de s’encagouler pour se dérober aux yeux de leurs caméras. Je vous parle d’assumer le conflit jusque dans l’affrontement, de vivre le rapport de force, de se mettre en jeu.
Vous voulez que je vous dise ? Quelle que
soit notre stratégie révolutionnaire (réformiste, anarchiste, communiste),
l’UQAM, c’est déjà la révolution, sinon sa forme la plus minimale. À l’échelle
québécoise, c’est l'un de nos modèles. Et le Printemps 2015 diffusera ce type de lutte à travers
le Québec. Ou le Printemps 2015 ne sera pas. Moins il y aura d’UQAM, moins il y
aura de révolution. Mais plus il y aura d’UQAM, plus il y aura de révolution.
Celles et ceux qui vous disent le contraire, ils vous mentent : ils
veulent peut-être une autre teinte de libéralisme, ou une autre variante de
capitalisme. Mais de la révolution, ils n’en veulent pas.