mardi 24 mars 2015

Réflexion sur la manif-action du 24 mars 2015

Publié sur facebook le 24 mars 2015

Je reviens tout juste de la manif au coin Réné-Lévesque et Mansfield, qui n’a jamais eu lieu tant le piège de la souricière a été déployé avec fulgurance. Et j’ai quelques réflexions rapides à vous partager. Je vais faire vite, je ne m’étalerai pas, quelques centaines de mots tout au plus.

Tout d’abord sur le nombre : nous étions trop peu nombreux et nombreuses, trop peu nombreux quand nous savons qu’il y a quantité d’étudiants et d'étudiantes qui ont voté la grève, et trop peu nombreux si l’on espère résister à la police de quelque façon que ce soit. Ou bien on fait moins de manifestations, ou bien on se mobilise davantage, ou bien encore on s’organise mieux, sans quoi jamais aucune manif n’arrivera ne serait-ce qu’à exister.

D’autre part sur la souricière brisée : il faut apprendre de cette résistance, il faut dorénavant faire de même à chaque souricière. Nous avons vu combien une souricière, quand elle est forcée de l’intérieur, ne tient finalement qu’à très peu. Nous avons vu combien les policiers, quand ils font face à une vrai résistance, perdent rapidement le contrôle sur ce qu’ils semblent, de loin, contrôler d’une main de fer. Applaudissons celles et ceux qui étaient sur place d’avoir fait leçon au reste du milieu militant. De mémoire, et j’en ai fait des manifs, c’est la plus belle libération d’une souricière qu’il m’ait été donné de constater.

Enfin sur les questions de stratégie et de tactique. Qu’on le veuille ou non, il va falloir se poser quelques questions sur la façon de prendre la rue en temps de répression aussi brutale. J’ai longtemps été l’un des rares à appeler à l’organisation de la défense des manifestations. Mais je dois me rendre à l’évidence : nous n’avons ni les ressources ni le courage ni le sens l’organisation pour contrer une telle répression. Nous aspirons à devenir loups et prédateurs, alors que nous sommes chevreuils et proies. Ils nous tendent des pièges et nous nous débattons pour nous en libérer.

En tout cas, une chose est sûr : il faudrait faire attention pour qu’un immense gouffre ne se creuse point entre nos fantasmes et la réalité, entre ce dont nous aspirons à faire dans une manif, et ce dont nous sommes réellement en mesure de faire. Quand nous voulons gagner une lutte, il faut bien entendu connaître son ennemi, mais il faut aussi reconnaître ses propres faiblesses et ses propres limites, entendu ici comme le revers de ses propres forces. À nous jeter sans cesse dans la gueule du loup (et le loup dont je parle est bel et bien la police), nous nous épuisons dans un combat que nous savons perdus d’avance. Notre force, pour l’instant, ne situe pas au niveau de la rue, mais dans l’expérience de la grève. Et l’expérience passée (UDM en 2012) nous enseigne qu’il serait judicieux d’en conserver, des forces, quand la police décidera de briser les lignes de piquetage.

lundi 23 mars 2015

Appel à la grève illégale


Publié sur www.littor.al le 23 mars 2015

Rappel à l’ordre des quelques syndicalistes en faveur de la grève, invitations à dépêcher les flics sur les lignes de piquetage, menaces d’expulsions politiques à l’UQAM : nous voilà déjà sur la ligne de front, là où nous essuyons les coups de leur légalité, là où nous résistons à leurs ordres, là où nous encaissons les sentences de leurs lois. Nous voilà déjà là où nous convoient irrémédiablement nos devenirs révolutionnaires. Nous voilà déjà au seuil de l’illégal, en ce lieu de rupture où s’entrechoquent les irréconciliables volontés, où chaque grève, chaque piquetage ou blocage, chaque manifestation déclarée illégale, nous oblige non seulement à l’expérience de la mise en jeu, à la crainte du coup de matraque, mais aussi à la fierté de la résistance, au courage physique de celles et ceux qui font corps contre leur force policière.

Illégale, notre grève l’est déjà. Et leur légalité, elle s’abat déjà sur nous, se décline déjà en plusieurs séquences répressives. Leurs injonctions s’abattent sur nous, légalement. Leurs directions nous menacent d’expulsions, légalement. Leurs flics nous piègent dans leurs souricières, légalement. Nous sommes devenus illégaux par le fait même de leur répression et de leur condamnation. « Grève illégale, occupation illégale, manifestation illégale », qu’ils beuglent sans cesse çà et là. C’est dorénavant limpide de clarté, et même lumineux de vérité:toute grève est dorénavant illégale, et tout ce que la grève promet, tout ce qu’elle propage de puissance aussi.

L’idée même de grève légale fait rire les plus lucides tant elle est devenue un mariage de force, tant elle est l’artifice d’une réconciliation forcée entre deux idées antagonistes. Une grève en tout point légale n’est plus qu’une impossibilité : une impuissance dont le pouvoir se délecte. Une grève légale ne peut rien, et n’a jamais rien pu, contre l’ère réactionnaire, contre sa déferlante qui nous engloutit jusqu’à l’effacement. Car vouloir combattre l’ère réactionnaire, lui survivre par-delà ses ordres, c’est déjà s’installer dans l’illégalité. C’est déjà se risquer aux coups de matraque. C’est déjà s’exposer à l’arbitraire de leur répression. Cela est l’évidence de celles et ceux qui luttent, de celles et ceux qui se font coffrer manif après manif, de celles et celles sur lesquels s’abattent les menaces d’expulsions politiques.

Si bien qu’un appel à la grève légale n’est doué d’aucun potentiel révolutionnaire. D’aucune puissance qui s’élève contre leur répression. D’aucune faculté à abattre le monde existant. Et n’a pour seule vocation de répéter le cycle bien connu de nos défaites passées.
Cessons, ma foi, de nous raconter des histoires, de vivre dans l’illusion légaliste. Soyons réalistes et stratégiques. Et faisons preuve d’intelligence politique. Une grève au potentiel révolutionnaire échappera sans cesse aux impératifs de l’ordre, et tombera sinon dans l’illégalité la plus réprimée, du moins en dehors des critères de la légalité. Une grève au potentiel révolutionnaire est une lutte, un combat, une déclaration de guerre au monde existant. Une grève révolutionnaire ne se meut en vertu d’aucune légalité, et se construit même, sur la durée, contre elle et contre le couperet attendu de sa loi spéciale.

Oui, appelons à la grève illégale.

Assumons nos devenirs révolutionnaires jusqu’à leurs termes irrémédiables, le devenir prédateur, le devenir meute, le devenir illégal. Grève étudiante ou grève du travail, grève humaine ou grève inversée, toute grève deviendra illégale quand elle affectera la cohérence de leur monde. Et toute grève gagnera en puissance en persévérant dans l’illégalité, en l’apprivoisant comme sa situation la plus intime et la plus naturelle.

La grève étudiante n’aura de sens qu’en endossant de tels devenirs révolutionnaires, illégaux, prédateurs. Seulement ainsi, nous gagnerons contre la direction de l’UQAM et annulerons ses expulsions politiques. Seulement ainsi, nous nous solidariserons vraiment avec les rares travailleurs qui braveront l’interdit de grève. Et seulement ainsi, nous nous rassemblerons autour d’enjeux qui feront survivre la grève par-delà ses deux premières semaines.