jeudi 20 mars 2014

L'anonymat et l'idée du commun

La démocratie capitaliste est toujours policière : elle ne survit qu’à travers l’œuvre d’une machine de guerre répressive. Et celles et ceux qui en savent quelque chose ne sont nuls autres que celles et ceux qui la débordent et la contestent dans ses marges, et dont toute l'existence, quand elle est vraiment animée de puissance et d’émancipation, est une grande ambition, souvent vaine, d'échapper à ses dispositifs. À sa neutralisation. À son homogénéisation. À la tyrannie de sa forme de vie normalisée, impuissante, éteinte.

Elles et eux savent que cette démocratie qui a substitué la Représentation au Roi, l’aristocratie élective à la monarchie divine, l'Homme de la biopolitique au sujet du souverain, et qui aspire au salariat intégral - où toutes et tous doivent travailler sans exception, elles et eux savent, dis-je, qu'elle est implacable contre ses ennemis; elles et eux connaissent son goût prononcé pour la répression ; elles et eux reçoivent en pleine gueule la physique de son pouvoir. Et seuls elles et eux finissent par choisir l'anonymat comme tactique de lutte incontournable pour survivre au-delà de ses frontières. Pour s’effacer de sa surface de visibilité. Pour disparaître de ses radars. Pour échapper du mieux qu’ils le peuvent aux dispositifs de son capitalisme - de son capitalisme total et impérieux.

Mais l’anonymat n’est jamais, faut-il souvent le rappeler, qu’une question tactique : il est aussi une affirmation du Commun, et de la nécessité de se fondre en lui - de disparaître, comme Homme ou Individu, dans les exigences de l’égalité ; et par là même, il est avant tout révolte contre la Reconnaissance – contre cette reconnaissance capitaliste d’une individualité spectrale qui se glisse peu à peu en nous à mesure que nous nous effaçons derrière le maillage serré des dispositifs, et qui nous dérobe à la puissance la plus dangereuse, la plus nuisible à l’hégémonie capitaliste : celle que nous redécouvrons à chaque fois que nous abandonnons notre individualité fantomatique à la faveur du Commun - où toutes et tous forment une communauté d'égaux.

En sorte que l’anonymat le plus banal est déjà manifestation d’une forme de vie hétérogène au capitalisme – d’une forme de vie qui déclare la guerre à l’Homme du capitalisme, à ses prédicats, à ses figures fictionnelles : à l’individu réalisé, au sujet rationnel, au citoyen politique. Et que jamais l’acte révolutionnaire véritable ne pourra ignorer cette puissance de l’anonymat – et du Commun-iste vers lequel il nous conduit.

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