vendredi 25 juillet 2014

Valls, Hollande et la fabrication de l'antisémitisme


En France, et d’autant plus depuis l’offensive israélienne à Gaza, les grands hommes du Parti socialiste ne cessent de nous balancer en pleine gueule leur désir d’en finir avec l’antisémitisme et le racisme. Ce serait même là leur volonté la plus vertueuse et la plus intouchable : volonté si noble et si immaculée de toute empreinte idéologique, en fait, que nous ne pourrions l’interroger, tant au niveau de ses moyens que de ses conséquences. Émettre une critique, aussi nuancée et hésitante soit-elle, nous ferait même basculer dans le camp de l’ennemi : dans cette nébuleuse d’extrémistes qui travailleraient à la renaissance des plus atroces tragédies de la civilisation occidentale, du nazisme à la Shoah, des pogroms aux chambres à gaz.

Mais les proclamations d’intention ne suffisent pas à la réalisation des justes idéaux. Ce n’est pas là la moindre des évidences : l’histoire regorge de terribles injustes qui furent commises au nom de nobles principes. Et depuis l’interdiction des manifestations en faveur de la Palestine, à Paris, il est tout à fait légitime de chercher à savoir si ces grands hommes du Parti socialiste combattent vraiment l’antisémitisme et le racisme. Ou s’ils participent, au contraire, à leur malheureuse fabrication dans les banlieues françaises.

Reprenons les événements archi-connus dans leur chronologie. Le 13 juillet, une première manifestation a lieu en réaction à l’offensive israélienne à Gaza. Elle se termine à quelques rues d’une synagogue. Des échauffourées ont lieu entre partisans pour la Palestine et membres de la Ligne de Défense Juive (un groupuscule sioniste d’extrême droite). Un brouillard recouvre aussitôt les affrontements. On ne sait qui sont les instigateurs. On ne saurait même partager les agresseurs des victimes. Qu’à cela ne tienne, les grands hommes du Parti socialiste ne retiennent qu’une version de l’histoire : il y aurait eu, selon eux, attaque de la synagogue sur la rue de la Roquette. À quelques exceptions près, les médias reconduisent la même version. Et naît immédiatement cette volonté d’interdire la prochaine manifestation en faveur de la Palestine.

Or, c’est ici, dans cette prise de parti à sens unique, que se joue la mise en scène qui mine l’honnêteté du combat gouvernemental contre l’antisémitisme et le racisme. En effaçant une partie de l’histoire du 13 juillet, en faisant fi de la présence de la Ligne de défense juive dans les échauffourées qui eurent lieu sur la rue de la Roquette, les dirigeants du Parti socialiste sèment le doute quant à leurs réelles intentions, et détournent un sentiment d’injuste au sein d’une communauté magrébine de France qui est déjà accablée par une réelle situation d’exclusion.

Serait-il plus légitime, se demandent alors certains français d’origine africaine, de se constituer en milice de rue quand l’on est de confession juive plutôt que musulmane ? Et n’y aurait-il pas là une énième répétition de l’injustice que vivent les français d’origine africaine et de confession musulmane sous le régime de la République française ? Bref, ne serait-ce pas là un autre exemple du « deux poids, deux mesures » que subissent, souvent reclus dans leurs banlieues misérables, les visages basanés de France ?

Questions sans doute judicieuses aux vues des évènements des dernières semaines, mais questions qui assimilent par trop un problème social et politique à un problème communautaire et religieux. On voit alors le dangereux glissement, presque imperceptible, qui s’opère à travers cette prise de parti à sens unique de Valls, Hollande et compagnie : une conflictualité sociale et politique, déjà vieille, entre les français d’origine africaine et les dirigeants de la société française – conflictualité qui repose sur la relégation presque systématique des premiers dans des quartiers de seconde zone – se superpose à autre conflictualité, étrangère et lointaine, et même s’y confond sournoisement. Et au bénéfice de qui s’opère une telle confusion ? Au bénéfice de nuls autres que celles et ceux qui la pratiquent déjà dans leurs discours, et dont l’arme rhétorique la plus puissante consiste à réduire tous les problèmes de la France aux nuisances d’un Empire sioniste. Au bénéfice, donc, de la nébuleuse politique, en montée certaine, qui se rassemble aujourd’hui autour de la figure médiatique qu’est devenu Alain Soral.

En sorte qu’au lieu d’éteindre le feu, les grands hommes du Parti socialiste l’alimentent. Quand ils ignorent les dérapages de la Ligne de Défense Juive, les discours « complotistes » s’en portent mieux. Quand ils confondent antisionisme et antisémitisme, les sentiments haineux contre les prétendus privilèges de la communauté juive profitent d’un nouveau souffle. Et disons-le sans détour : l’aboutissement inévitable d’une telle stratégie politique est assurément les émeutes de Sarcelles. D’émeutes, en 2005, contre les abus policiers et les exclusions de la société française, nous en sommes ainsi arrivés à des émeutes qui s’attaquent à des petits commerçants juifs de banlieue. Valls et Hollande s’en défendront à coup sûr, mais ils ne sont pas étrangers à ce détournement de la colère. À force de prise de parti à sens unique et de raisonnements de pensée honteux, ils ont participé, au moins partiellement, à la fabrication de l’antisémitisme dans les banlieues françaises.


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