vendredi 25 avril 2014

Célébrer la mort de Desmarais

Écrit le 11 octobre 2013

L’autre jour, j’ai fermé ma gueule. J’ai fermé ma gueule quand certains nous ont concocté une p’tite morale pour nous persuader, en quelques phrases, que célébrer la mort de Desmarais était puéril, ou même lâche. Je me suis retenu d’écrire quoi ce soit sur le sujet, puisque je connais déjà le bloc monolithique que forme une certaine gauche : je connais son orgueil et sa malheureuse suffisance, aussi bien que ses certitudes arrêtées qui s’expriment souvent sous des airs de grande tolérance.

Et je me suis dit, avec une sagesse qui m’est habituellement étrangère, à quoi bon partir une polémique que je perdrai de toute façon devant le tribunal de l’espace public facebookien, dominé très largement, surtout dans sa frange intellectuelle, par un consensus plus ou moins social-démocrate qui aime fêter sa grande civilité.

Mais hier, en feuilletant La Presse, j’ai découvert l’autre versant de la célébration : celui qui célèbre non pas la mort de Desmarais, mais sa vie de richissime. De Pratt à Foglia, de Sarkozy à Bush, et j’en passe, - tous et toutes célébraient la vie de ce prédateur qui a accumulé richesses et fortunes avec cette soif inépuisable que seuls les chacals de la pire espèce connaissent.

Et je me suis redemandé, en feuillant toujours cette feuille de choux propagandiste, mais qu’est-ce que l’on doit vraiment critiquer, nous écrivain(e)s gauchistes, nous ennemi(e)s de Desmarais ? Les cris de réjouissance de la plèbe à l’annonce de la mort de l’un de ses potentats ? Ou ce tintamarre vulgaire de la Presse qui fête la vie d’un prédateur ?

Est-ce vraiment notre rôle de moraliser le peuple, de le contenir dans ses élans de vengeance? De lui dire qu’il erre dans ses célébrations ? De révéler sa lâcheté – car la mort de Desmarais ne serait pas le fruit d’un combat révolutionnaire ? Ou d’insinuer la puérilité, pour ne pas dire l’infantilité, de ses bas instincts ?

Et vous moralistes de gauche, croyez-vous vraiment que vous êtes plus « mature » ou plus « courageux » en ne célébrant pas la mort de Desmarais ? En le critiquant seulement avec l’arme de la raison la plus vigoureuse ?

La gauche québécoise persévère souvent dans le mythe que la politique est seulement affaire de rationalité. Mais peut-être est-ce là sa plus grande erreur. La politique n’est seulement affaire de raison, mais aussi affaire de passion et d’affectif.

Si bien qu’il faudrait peut-être apprendre à cultiver une certaine rage envers les gros prédateurs milliardaires qui nous méprisent sans cesse ; et que vous soyez choqué(e)s ou non, cela passe sans doute par l’insulte, l’invective et la célébration de leur mort. Nous ne sommes pas tous des intellos, mes chères et chers ; nous ne cultivons pas tous une raison modérée devant l’injustice. Et il faudrait aussi se mettre dans le crâne que savoir contenir sa rage pour la transformer en raison critique est encore un privilège.

Certes, vous pouvez continuer à moraliser le peuple infantile si vous le souhaitez, et je sais trop que je ne vous convaincrai pas aujourd’hui. Mais personnellement, jamais je ne dirai à quiconque qu’il est lâche ou puéril de célébrer la mort de Desmarais. Surtout si, devant moi, j'ai quelqu’un qui, depuis toujours, a vécu la misère de la pauvreté - cette misère qu'autorisent et célèbrent les chacals à la Desmarais.

Et je dis bien jamais, car jamais je ne sacrifierai la rage de la misère, du moins quand elle est aussi inoffensive, sur l’autel de la morale.

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