jeudi 17 avril 2014

Nous n’en finissons plus de pleurer notre répression

Nous n’en finissons plus de pleurer notre répression. Entre militants du Printemps ou entre amis de la misérable gauche intellectuelle. Autour d’une bière de fin de soirée ou dans nos évènements soi-disant révolutionnaires.

Nous n’en finissons plus de pleurer notre répression. Tantôt au sein d’une multitude de documentaires sur les méthodes coercitives du SPVM, tantôt à travers une série infinie de textes qui s’autorisent tous une énième répétition de la même critique, du même outrage victimaire, de la même morale du vaincu.


Nous n’en finissons plus de pleurer. Et je vais le dire sans ménagement : je suis franchement épuisé de nous entendre pleurer. Toujours de la même façon, toujours pour les mêmes raisons, toujours avec le même ton moralisateur. Comme une p’tite musique stridente, douloureuse à l’écoute, agaçante pour les oreilles.


Nous pleurons les retombées autoritaires de P6. Nous pleurons la violence brutale du SPVM. Nous pleurons les atteintes à la Démocratie capitaliste. Nous pleurons l’absence d’une réelle commission d’enquête sur le Printemps 2012 – commission d’enquête qui, au demeurant, nous eût seulement permis d’étaler nos interminables pleurnicheries sur la place publique, mais jamais d’en finir avec la répression policière.


Nous pleurons pour ainsi dire tous ensembles. À qui mieux mieux. Dans un grand concert unanime de larmes qui cherche, dirait-on, à célébrer celui qui sanglote avec le plus d’éloquence, ou celui qui se lamente avec le plus de talent. Si bien que certains sont même devenus, après la répression du Printemps 2012 et dans le désarroi de l’après-grève, des starlettes de la pleurnicherie tapageuse. Toujours à sangloter sur toutes les tribunes, à étaler partout leur engagement en faveur des victimes que nous serions devenus.


Mais à force de pleurer et de moraliser ainsi, nous nous attendons à quoi ? À susciter de la pitié ? À ce que la puissance de l’État policier fasse preuve d’indulgence envers nous - les faibles, les impuissances de la rue ? Que cet État policier comprenne la bienveillance de notre si juste morale ? Que Coderre abolisse P6 dans un éclair de lucidité ? Que le SPVM cesse du jour au lendemain de nous tirer dessus avec leurs balles de plastique ? Ou encore que Harper range soudainement aux oubliettes sa loi sur les masques ? Et que bang, d’un seul tour de magie, le monde idéal apparaisse ?


Mais réveillons-nous bon Dieu ! Émergeons de notre rêve de p’tits bourges universitaires ! Coderre, Couillard, Harper et tous les autres chacals parlementaires au pouvoir en n’ont absolument rien à foutre de nos beaux discours obsolètes de sociaux-démocrates égarés, de notre misérable morale pour faible qui quémande la pitié, et de toutes nos joyeuses espérances sur le monde idéal. Ne voyez-vous pas qu’ils veulent nous éliminer jusqu’au dernier ? Qu’ils veulent nous obliger à nous retirer dans l’activité légale, dans le monde du travail intégral, dans la société homogène ?


Que vous le vouliez ou non, ou même que vous le refusiez ou non, nous sommes en guerre. Et à l’intérieur de cette guerre civile larvée, nous devons prendre parti : prendre parti pour les nôtres qui combattent l’homogène capitaliste. Et surtout, nous devons abandonner le réflexe moral, celui qui consiste à nous réfugier dans une pureté quelconque - une pureté qui ferait défaut à l’ordre capitaliste, et que nous porterions comme garant de notre intégrité supérieure. Car dans la guerre en cours, la morale n’est plus d’aucune efficace ; et s’entêter à y recourir est même la preuve d’une faiblesse : d’une impuissance à affronter l’ennemi, à conjurer sa force et sa puissance.


Ici comme ailleurs, du Québec à l’Espagne, du Brésil à la France, il y a ainsi une guerre sourde qui se diffuse malgré nous - malgré nos plus belles espérances. Et en son sein, il n’est plus question de principes moraux : il est question de rapports de force. De rapports de force entre eux et nous, entre leur machine de guerre et la nôtre. Il ne s’agit pas ici de célébrer cette guerre, ni de réduire notre lutte à sa violence ou à ses affrontements, mais de prendre acte de toutes ses conséquences, de tout ce qu’elle nous oblige à penser. La guerre est tout simplement déjà là. À chaque grève, à chaque manifestation, à chaque occupation. Et prendre acte de son existence et penser stratégiquement en fonction d’elle n’est que le premier pas vers l’augmentation réelle de notre puissance et de notre émancipation. À nous de faire ce premier pas. En cessant tout d’abord de pleurer à tout venant, à chaque fois que la guerre nous révèle son existence. Puis en rassemblant notre courage autour d’une organisation – celle qui n’aura d’autres choix un jour ou l’autre que d’affronter la tragédie de la guerre en cours.

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