vendredi 25 avril 2014

Lettre à faire vomir

Écrit le 4 décembre 2013

Dans cette lettre à faire vomir, pleine de mauvaise foi, nous voilà au cœur de la pensée citoyenne. Au cœur de son chantage, de son monde binaire, de son appel à l’ordre et à la pacification autoritaire. Au cœur de son amour pour l’État et la propriété. Au cœur de sa loyauté à l’autorité des députés.

Cette lettre, qui s’adresse au Comité BAILS, et dont l’essentiel est une défense de la petite bourgeoisie citoyenniste qui, année après année, investit toujours plus massivement Hochelaga, se décline en 7 opérations. En 7 opérations qui dévoilent la pensée citoyenne dans ses détails les plus significatifs.

1ère opération : se présenter comme des gauchistes au dessus de tout soupçon. Comme des gens d’idées honorables, ouverts au dialogue, à l’échange des points de vue. Bref, comme des gens éduqués de bonne condition, sans doute universitaires, et qui ne pourraient vouloir de mal à quiconque.

« Nous sommes les fils et les filles de la social-démocratie qui a transformé le Québec contemporain. Nous sommes ceux qui payent leurs taxes et impôts avec le sentiment de contribuer à une société plus juste. Nous sommes ces citoyens ouverts sur les idées, nous sommes ceux qui permettent le financement d’organismes comme le vôtre. Nous avons marché, un carré rouge sur le coeur, pour nous assurer que le Québec ne retourne pas en arrière. »

2ème opération : s’approprier le quartier. S’en réclamer d’une appartenance égale à ces familles qui l’habitent depuis plusieurs générations, et qui y ont été enfermés en vertu de leur pauvreté presque héréditaire.

« Nos enfants sont nés dans le quartier, ils sont chez eux plus encore que vous l’êtes et nous bâtissons pour eux un environnement où ils pourront s’épanouir. »

3ème opération : réduire à sa plus simple expression la différence entre la grande pauvreté d’Hochelaga et la modeste aisance de la nouvelle classe moyenne qui l’investit. Et surtout : refuser de reconnaître, comme classe moyenne, sa condition petite bourgeoise. Et même : jouer les démunis, rivaliser sur le terrain de la pitié avec la populace historique du quartier.


« Nous ne sommes pas des bourgeois, mais de jeunes familles de la classe moyenne. La crise du logement nous a autant affectés que les plus démunis. Beaucoup des nôtres sont partis en banlieue à contrecoeur. »

4e opération : appeler à la neutralité fictionnelle d’un organisme (Comité BAILS) qui n’a pour seule pertinence que la défense d’intérêts des plus pauvres. Et appeler à cette neutralité en marquant sa différence, en revendiquant son droit d’élever ses enfants dans une culture petite bourgeoise, dans « une culture de qualité » - cette culture transmise par la famille.

«Votre organisme se doit d’être neutre politiquement et de représenter tous les citoyens dans le besoin d’un logement abordable. Y compris ceux qui désirent mettre leurs enfants en contact avec une culture de qualité et fréquenter les commerces de leur choix. Ceux qui, comme ma mère en son temps, veulent former leurs enfants dans un environnement stimulant afin qu’ils aient une vie meilleure que celle qu’eux-mêmes ont eue. »

5ème opération : se draper de pureté pour soupçonner le mal chez l’autre. Et identifier ce mal à la violence, à cette violence qui viendrait abîmer une démocratie, un dialogue, une neutralité qui lui seraient préexistants. Et cela, pour enfin jouer la carte du chantage : mais voyons, votre organisme (le Comité BAILS) n’est pas neutre, il n’est pas démocratique, m. Aspireault-Massé !

«Lorsque nous vous demandons de dénoncer les actes de violence et de vandalisme, voyez-vous, ce n’est pas pour vous soumettre. C’est pour vous affranchir d’un jupon noir qui dépasse peut-être un peu trop. Ne pas le faire suggère que vous préférez la confrontation au dialogue. Des mauvaises langues pourraient dire que vous mettez vos convictions politiques devant la mission de votre organisme. »

6ème opération : assimiler le verbe qui nomme la conflictualité sociale dans Hochelag à de la rhétorique mensongère, à de la propagande. Et exposer ce caractère mensonger ou propagandiste par la preuve de la discorde. Car celle-ci ne nous conduirait point au consensus, à la neutralité fictionnelle de la société harmonieuse et homogène, mais à la lutte entre les moins nantis et les mieux nantis, entre les éléments hétérogènes à cette société homogène et les petits propriétaires parfaitement confondus avec le maillage serré de ses dispositifs.

« Quand vous ne rectifiez pas la rhétorique mensongère, à la limite de la propagande, que vos sympathisants masqués utilisent, c’est comme si vous l’endossiez. Ils veulent cultiver le sentiment que les mieux nantis sont responsables du malheur des gens à faible revenu. Leur projet est de soulever les prolétaires contre les méchantes jeunes familles et les propriétaires de condos. Mais je ne vous apprends rien, n’est-ce pas, Monsieur Aspireault-Massé ? Le malheur, c’est que cette stratégie ne fait qu’exacerber les préjugés et polariser les positions. Bonsoir le consensus ! »

7e opération : se revendiquer de la démocratie, de l’autorité de la député, de cette député à laquelle l’on rappellera fermement pourquoi elle a été élue, en sachant très bien qu’elle sera de notre côté - du côté de la propriété, du consensus d’apparence, de la neutralité fictionnelle, de l’homogène. Bref, célébrer cette démocratie qui ne représente pas juste les pauvres (« que ça vous plaise ou non »), mais aussi les moins pauvres, et surtout les propriétaires – ceux qui sont libres et qui feront tout pour le demeurer… Quitte à faire déferler sur le quartier des vagues policières jusqu’à l'éradication complète de la racaille, des voyous, des vandales : de l’hétérogénéité.

« Madame Poirier ne fera pas une Line Beauchamp d’elle-même et, le cas échéant, nous lui rappellerons fermement pourquoi nous l’avons élue. Parce qu’effectivement, démocratiquement, nous l’avons choisie pour nous représenter tous, pauvres et moins pauvres, que ça vous plaise ou non. Encore une fois, je vous le demande ; saisissez cette occasion de faire votre travail comme jamais auparavant. Montrez-nous que votre objectif est de trouver des solutions qui correspondent à votre mandat et non de maintenir une lutte des classes au service de vos desseins politiques.
Et si, au réveil, je devais trouver un grand A sur la brique rouge de ma maison, j’inscrirai dessous : « La propriété, c’est la liberté ! »,un sourire aux lèvres. »

http://m.ledevoir.com/politique/montreal/394252/denoncez-la-violence-dans-hochelaga-maisonneuve

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