mercredi 8 janvier 2014

Quenelle, charte des valeurs, et reconfiguration de la ligne de partage.

Je vais le dire d'un coup : prendre position pour ou contre la quenelle est d'une profonde connerie. Serais-je pour que je me verrais ranger dans le camp des gros tarés, comme Soral, qui tantôt font la quenelle avec fierté, tantôt banalisent la montée d'Aube Dorée. Serais-je contre que je me verrais ranger dans le camp des merdes, comme Valls, qui se plaisent à réprimer tout ce qui s'élève contre la République capitaliste.

Ai-je besoin de dire que la politique n'est pas seulement affaire de prise de position : qu'elle est aussi affaire de ligne de partage, de ligne de conflit?

Lors du printemps 2012, au Québec, nous avions imposé une ligne de partage claire et nette : d'un côté, il y avait celles et ceux pour le capitalisme total et son invasion du domaine de l'éducation ; et de l'autre, il y avait nous - celles et ceux qui étaient contre. Mais depuis lors, nous sombrons sans cesse à l'intérieur de conflits qui nous détournent de notre lutte - de notre lutte contre le capitalisme et sa vocation à tout dominer, à tout submerger jusqu'au moindre espace subversif.

Il y a tout d'abord eu cette histoire de charte. Et puis il y maintenant cette histoire de quenelle. Autant d'histoires dans lesquelles on ne peut que se perdre, à force de se battre sur le terrain de l'ennemi, de se positionner sur une ligne de partage qu'il a choisi.

Vous savez comment, au 19e siècle, la Troisième république française a étouffé la conflictualité sociale générée par la Commune de Paris? Vous ne le savez pas ! Laissez-moi vous raconter. Je vais faire vite.

Juste avant la Commune, les élections sont remportées par les royalistes, alors que la plus grande partie de l'armée française est prise au piège en Prusse à la suite de la défaite magistrale de Napélon III contre Bismack. À l'encontre de cette élection qui consacrait la victoire politique de la paysannerie conservatrice, catholique et nostalgique de l'Ancien Régime, s'élève la commune de Paris, révolutionnaire et anti-royaliste. Au sein des milieux républicains de droite, principalement composés de grands bourgeois qui veulent une république des riches, s'enclenche alors une stratégie pour rapatrier l'armée et mater la Commune. On négocie avec les allemands, on lève une armée professionnelle, on la dirige vers Paris.

La suite de l'histoire est connue. Répression sanglante, 40 000 morts, défaite de la commune. Et victoire des républicains de droite qui se sont faufilés entre la défaite de Napoléon et celle des communards. Mais ce qu'on connaît moins, c'est la suite de l'histoire : c'est de quelle manière on efface de la mémoire collective une conflictualité qui a fait 40 000 morts.

C'est simple : les républicains de droite, Thiers et Ferry en tête, ont reconfiguré la ligne de partage qui déchirait la France d'alors. Et comment ont-ils fait? En inventant la Laïcité, celle qui aura effacé la conflictualité sociale ayant généré la Commune, et qui aura finalement imposé un nouveau conflit, une nouvelle ligne de partage. Pour jouer le jeu des citations, laissons ici la parole à Baubérot, l'historien consacré de la Laïcité : « Dans ce conflit (imposé par la laïcité), partisans d'une France libérale et partisans d'une France socialiste se trouvent unis. Cette union est au détriment de ces derniers : la question sociale est reléguée au second plan par la question religieuse. » (Histoire de la laïcité en France, PUF, p. 78).

Vous voyez alors où je veux en venir? Avec sa charte des valeurs, le PQ nous fait le coup des républicains de droite, de Thiers et de Ferry. Même chose, à quelques différences près, avec Valls et sa croisade contre Dieudonné. Suis-je contre les intégristes, contre le clergé ? Oui, je le suis. La commune l'était aussi quand elle coupait la tête de l'évêque de Paris. Mais je le suis à la condition, comme durant la Commune, que cette lutte soit menée à l'intérieur d'une lutte contre le capitalisme. Suis-je enfin contre la nébuleuse qu'est le discours de Dieudonné, derrière laquelle se cache une variété de nationalistes identitaires qui banalisent les discours du FN et d'Aube Dorée? Oui, je le suis. Mais à la condition que cela ne favorise pas la République des riches, de Valls et ses amis.

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