Quatre jours, voire plus. Voilà
l’intervalle de temps durant lequel nous avons rencontré des centaines de fois la
même image, celle des poseurs de bombes fumigènes. À la télévision, dans les
journaux, sur le site internet des médias d’information.
Quatre jours à regarder quatre suspects
sur une image brouillée, à imprimer dans notre conscience l’allure du nouvel
ennemi de la société, à se rappeler que leur crime était un outrage à la masse
laborieuse qui travaille tous les matins.
Quatre jours à vilipender, à condamner !
Car les médias méprisaient le geste politique, l’élevaient à des niveaux
d’horreur extraordinaires, le recouvraient d’une brume idéologique. Quatre
jours, donc, à écouter la même chanson, à toujours se faire raconter une histoire qui se décline ainsi : celui que les quatre suspects ont
attaqué par la paralysie du métro, celui qu’ils ont puni par leur fougue
révolutionnaire, il se nomme le contribuable, il se lève aux petites heures du
matin, il incarne la douloureuse citoyenneté contemporaine.
Nos chers médias ont ainsi transformé une
souris en un monstre aux intentions les plus horrifiantes : de poseurs de
bombes fumigènes, les quatre suspects sont devenus les ennemis de tous ;
et à l’accusation « d’incitation à craindre le terrorisme », s’est
ajouté le mélodrame de la famille bouleversée, que les voyeuses caméras de TVA
ont filmé avec un plaisir honteux : le grand-père du suspect aux yeux
mouillés, la grand-mère dans l’effroi de l’incompréhension, autant d’images
saisissantes à l’aide desquelles le sentimentalisme vulgaire convainc de la
gravité du geste.
Et pourtant, ce geste politique frappe
par sa grande impuissance : des bombes fumigènes posées au quatre coins du
réseau, une lourde fumée qui envahit quelques stations, une paralysie du métro
qui fruste la banalité du quotidien. Aucun danger de morts, ni même de blessés.
Peut-être une douce violence psychologique, mais jamais une violence grave ou
physique !
On nous réplique alors que les gens ont
eu peur, bref, qu’ils auraient pu se blesser dans une bousculade de la terreur.
Mais un tel scénario relève du pur fantasme idéologique : on ne se blesse pas
en s’échappant d’une inoffensive bombe fumigène, on se blesse en échappant aux
gaz d’une bombe lacrymogène ! Comme à Victoriaville, il y a une semaine.
En vérité, les poseurs de bombes
fumigènes ne souhaitaient pas semer la terreur, ou « inciter à craindre le
terrorisme » ; ils souhaitaient investir le politique dans la
banalité du quotidien. Leur objectif était d’interrompre la grande roue du
capital, d’ébranler l’ordinaire du travailleur, d’interpeller le citoyen sur
les lieux de son malheur; et leur cible n’a jamais été le contribuable
universel, cette figure imaginaire de l’homme moyen, mais la machine
capitaliste, celle qui ruine la liberté humaine, qui oblige à travailler comme
s’il s’agissait d’une vocation naturelle, mécanique.
Or, il en coûte cher aujourd’hui de
rompre l’ordre du quotidien : on devient aussitôt ennemi politique de la
société, on figure soudainement parmi les criminels les plus recherchés, on
incarne dès lors la terreur du désordre. Les poseurs de bombes fumigènes
l’ont ainsi appris à leurs dépens : vouloir politiser le quotidien est
maintenant une entreprise risquée!
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