mardi 15 mai 2012

Quatre jours à regarder une image brouillée


Quatre jours, voire plus. Voilà l’intervalle de temps durant lequel nous avons rencontré des centaines de fois la même image, celle des poseurs de bombes fumigènes. À la télévision, dans les journaux, sur le site internet des médias d’information.
Quatre jours à regarder quatre suspects sur une image brouillée, à imprimer dans notre conscience l’allure du nouvel ennemi de la société, à se rappeler que leur crime était un outrage à la masse laborieuse qui travaille tous les matins.
Quatre jours à vilipender, à condamner ! Car les médias méprisaient le geste politique, l’élevaient à des niveaux d’horreur extraordinaires, le recouvraient d’une brume idéologique. Quatre jours, donc, à écouter la même chanson, à toujours se faire raconter une histoire qui se décline ainsi : celui que les quatre suspects ont attaqué par la paralysie du métro, celui qu’ils ont puni par leur fougue révolutionnaire, il se nomme le contribuable, il se lève aux petites heures du matin, il incarne la douloureuse citoyenneté contemporaine.
Nos chers médias ont ainsi transformé une souris en un monstre aux intentions les plus horrifiantes : de poseurs de bombes fumigènes, les quatre suspects sont devenus les ennemis de tous ; et à l’accusation « d’incitation à craindre le terrorisme », s’est ajouté le mélodrame de la famille bouleversée, que les voyeuses caméras de TVA ont filmé avec un plaisir honteux : le grand-père du suspect aux yeux mouillés, la grand-mère dans l’effroi de l’incompréhension, autant d’images saisissantes à l’aide desquelles le sentimentalisme vulgaire convainc de la gravité du geste.
Et pourtant, ce geste politique frappe par sa grande impuissance : des bombes fumigènes posées au quatre coins du réseau, une lourde fumée qui envahit quelques stations, une paralysie du métro qui fruste la banalité du quotidien. Aucun danger de morts, ni même de blessés. Peut-être une douce violence psychologique, mais jamais une violence grave ou physique !
On nous réplique alors que les gens ont eu peur, bref, qu’ils auraient pu se blesser dans une bousculade de la terreur. Mais un tel scénario relève du pur fantasme idéologique : on ne se blesse pas en s’échappant d’une inoffensive bombe fumigène, on se blesse en échappant aux gaz d’une bombe lacrymogène ! Comme à Victoriaville, il y a une semaine.
En vérité, les poseurs de bombes fumigènes ne souhaitaient pas semer la terreur, ou « inciter à craindre le terrorisme » ; ils souhaitaient investir le politique dans la banalité du quotidien. Leur objectif était d’interrompre la grande roue du capital, d’ébranler l’ordinaire du travailleur, d’interpeller le citoyen sur les lieux de son malheur; et leur cible n’a jamais été le contribuable universel, cette figure imaginaire de l’homme moyen, mais la machine capitaliste, celle qui ruine la liberté humaine, qui oblige à travailler comme s’il s’agissait d’une vocation naturelle, mécanique.
Or, il en coûte cher aujourd’hui de rompre l’ordre du quotidien : on devient aussitôt ennemi politique de la société, on figure soudainement parmi les criminels les plus recherchés, on incarne dès lors la terreur du désordre. Les poseurs de bombes fumigènes l’ont ainsi appris à leurs dépens : vouloir politiser le quotidien est maintenant une entreprise risquée!

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