mardi 27 octobre 2015

Les bas-fonds de la femme autochtone

Tout, absolument tout jusqu’à maintenant, prouve, par l’absurde, l’éloquence d’un rapport de domination aussi ferme qu’intangible. Le refus initial et obstiné d’enquêter; l’indignation surfaite qui entr’aperçoit enfin le drame plusieurs fois centenaires de la femme autochtone ; les larmes d’un pouvoir qui, dit-on, était en connaissance de cause depuis cinq mois ; et maintenant les chiens qui jouent aux victimes esseulés, perdues, innocentes - abandonnés, disent-ils, par leur maître. Oui, tout, absolument tout, est à vomir.

On eût voulu faire plus grossier pour dépeindre les travers de l’époque qu’on eût fait dans le burlesque de mauvais goût.

Rien n’est plus laid, rien n’est plus répugnant que la mauvaise comédie qui feint, pour elle-même et pour les autres, la touchante sensibilité. L’hypocrisie s’allie alors à la tragédie pour camoufler l’immobilisme. On pleure sur scène à chaudes larmes, on offre le spectacle de la sympathie pour endormir les indigné-es qui jetteront bientôt leur dévolu sur une nouvelle cause; puis, quand les caméras s’éteignent, les mêmes tirent les ficelles, les mêmes reproduisent le vieux monde qui viole et tue.

La ministre Thériault a poussé jusqu’au grotesque le jeu d’une telle mise en scène. Sa ridicule performance alors que les caméras tournaient n’a eu d’égal que les moyens qu’elle a mis en œuvre pour combattre les exactions de ses chiens enragés qui se paient des pipes avec des grammes de cocaïne. Aussi risibles, aussi détestables dans ce qu’ils dévoilent et illustrent par la caricature : le monde colonial dans sa brutalité la plus banalisée.

Ainsi donc, armés des larmes de la ministre, les chiens de ville enquêteront sur les chiens de campagne. C’est dire combien le désir d’immobilisme est impérieux ; c’est dire combien l’impunité des cochons coloniaux est assurée. Qu’importent les espoirs des indigné-es, ou les atermoiements des pleureuses du dimanche, les chiens de campagne s’en sortiront avec une retraite à 45 ans ; et tout cela, on nous le crachera en pleine gueule à TVA nouvelles comme s'il s'agissait d'une juste punition.

Car telle est la dureté de l’univers colonial.

Dans l’organigramme de ses rapports de force, la femme autochtone, à l’image de la femme noire des ghettos américains, végète dans les bas-fonds les plus miséreux. On ne cesse de la violer depuis des siècles. On ne cesse de la violer contre un flacon d’alcool ou quelques billets. On ne cesse de la violer en toute impunité, camouflé dans les broussailles de la forêt ou sur la banquette arrière de sa vieille Ford. C’est même le secret le mieux gardé de l’univers colonial : violer la femme autochtone, c’est facile – même les cochons le font. 

La féroce vérité, à la fois honteuse et sourde, c’est que les chiens de campagne ont sans doute imité leur père ou leur grand-père ; et que les viols de Val d’Or, quand on les réinsère dans la grande trame de l’histoire coloniale, ne forment que le bruyant écho de tout ce que la femme autochtone a subi depuis l’arrivée des colons. Oui, la cruelle vérité, c’est qu’on ne cessera de la violer tant et aussi longtemps qu’on n’entrera pas en rupture avec cette grande trame. 

Reste qu'on n’abandonne pas des siècles de violences comme on verse quelques larmes pour la galerie. Si bien que le jour où l’univers colonial tremblera, là même où les clameurs de l’indignation se font depuis quelques jours les plus tonitruantes, les appels à la répression des sauvages pourraient être parmi les plus intransigeants. Et c’est bien là, dans cette réversibilité aussi prévisible qu’inattendue, que se joue la plus dangereuse hypocrisie : les dits citoyens qui s’indignent aujourd'hui dans le silence assourdissant des banlieues en carton pourraient bien détester, le jour venu, la rumeur de la révolte qui gronde au loin.


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