On n'entend guère souvent la parole policière. On l’a entendu se porter à la défense de son régime de
retraite. On l’a aussi deviné sur les autocollants qui ont pigmenté de rouge les
voitures de patrouille. Mais la parole policière, l’authentique, est
d’ordinaire silencieuse, soumise, esclave d’une autorité qui lui dicte ses
actes et ses pensées. Certes le policier commande dans la rue, mais il est alors inféodé au pouvoir. Son commandement n’est pas l’œuvre d’une volonté
ou d’une singularité, il est l’interpellation du pouvoir : du pouvoir qui
parle à travers lui.
C’est pourquoi le
policier est à bien des égards une bête bien dressée. Dès les premiers jours de son admission à l’école de police, on sculpte son âme, on hiérarchise ses
pulsions, on incline ses penchants vers l’horizon lumineux de l’ordre. On le discipline à réagir aux situations
avec une régularité sans failles. On le dresse à poser les mêmes actes jusqu’en
oublier leur sens et leur portée.
Un bon policier, un
policier qui reçoit les honneurs et les fleurs de ses supérieurs, patrouille
avec une inébranlable cohérence. Un bon policier est une somme d’instincts et de
réflexes. À chaque situation, il est une réponse, à chaque crime une
répression, à chaque danger une riposte. Le policier est un technicien. Il met
en œuvre une loi qui le précède. Une loi indiscutable. Une loi qui se suffit à
elle-même. La loi, c’est la loi, dira toujours le policier à titre de sommation.
Et donc, il y a de
quoi écouter une parole policière quand elle s’autorise à la critique du
pouvoir. C’est un phénomène assez rare pour tendre l’oreille. Et c’est justement
ce qui est survenu cette semaine. Le pouvoir a fait exception à la loi et les
policiers ont parlé. Les fenêtres d’un commissariat de police ont volé en
éclats et les policiers ont fait savoir qu’ils eussent voulu tirer sur la foule
émeutière si cela ne leur avait pas été interdit. Pour une rare fois, la parole
policière s’est dissociée du pouvoir. Mais elle s’en est écartée pour mieux
réclamer le sang. Elle eût voulu réagir en conformité avec la discipline de ses
instincts. Répondre, réprimer, riposter. Quitte à tirer à coups de balles (de
plastique) dans la foule. Quitte à blesser une nouvelle fois. Quitte à prendre
une autre vie.
Il fut une époque
où la police se dissociait du pouvoir en se refusant à tirer sur les foules. Aujourd’hui
elle s’en dissocie en revendiquant une soif de répression. Autres temps, autres
mœurs, la parole policière n’est peut-être plus une volonté. Elle n’est
peut-être qu’une intelligence primitive : une réaction, une pulsion, un
désir. Une voix qui recouvre l’instinct de répression, l’envie de tirer sur la
foule émeutière. Le policier appuie sur la gâchette quand l’instinct lui en ordonne,
et se trouve offusqué quand une force quelconque l’en entrave. C’est l’efficace
d’un dressage à la terrible perfection.
La vieille Garde
Nationale française, quand elle s’est jointe à la Commune de Paris, ignorait la
perfection d’un tel dressage, et cette ignorance fut sans doute la possibilité
de sa volonté séditieuse. À l’inverse, les policiers du SPVM, quand ils
réclament une plus grande répression, éprouvent dans leurs chairs la discipline
de leurs instincts, et cette expérience initiale, presque initiatique, de
l’école de police est sans doute ce qui les poussera inlassablement à la
répression de tout ce que l’on nomme révolte.