Tout, absolument tout jusqu’à maintenant,
prouve, par l’absurde, l’éloquence d’un rapport de domination aussi ferme
qu’intangible. Le refus initial et obstiné d’enquêter; l’indignation surfaite
qui entr’aperçoit enfin le drame plusieurs fois centenaires de la femme
autochtone ; les larmes d’un pouvoir qui, dit-on, était en connaissance de
cause depuis cinq mois ; et maintenant les chiens qui jouent aux
victimes esseulés, perdues, innocentes - abandonnés, disent-ils, par leur
maître. Oui, tout, absolument tout, est à vomir.
On eût voulu faire plus grossier pour
dépeindre les travers de l’époque qu’on eût fait dans le burlesque de mauvais
goût.
Rien n’est plus laid, rien n’est plus
répugnant que la mauvaise comédie qui feint, pour elle-même et pour les autres,
la touchante sensibilité. L’hypocrisie s’allie alors à la tragédie pour camoufler
l’immobilisme. On pleure sur scène à chaudes larmes, on offre le spectacle de
la sympathie pour endormir les indigné-es qui jetteront bientôt leur
dévolu sur une nouvelle cause; puis, quand les caméras s’éteignent, les mêmes tirent
les ficelles, les mêmes reproduisent le vieux monde qui viole et tue.
La ministre Thériault a poussé jusqu’au grotesque
le jeu d’une telle mise en scène. Sa ridicule performance alors que les caméras
tournaient n’a eu d’égal que les moyens qu’elle a mis en œuvre pour combattre
les exactions de ses chiens enragés qui se paient des pipes avec des grammes de
cocaïne. Aussi risibles, aussi détestables dans ce qu’ils dévoilent et illustrent
par la caricature : le monde colonial dans sa brutalité la plus
banalisée.
Ainsi donc, armés des larmes de la ministre, les
chiens de ville enquêteront sur les chiens de campagne. C’est dire combien le
désir d’immobilisme est impérieux ; c’est dire combien l’impunité des cochons
coloniaux est assurée. Qu’importent les espoirs des indigné-es, ou les
atermoiements des pleureuses du dimanche, les chiens de campagne s’en sortiront avec une
retraite à 45 ans ; et tout cela, on nous le crachera en pleine gueule à TVA nouvelles
comme s'il s'agissait d'une juste punition.
Car telle est la dureté de l’univers colonial.
Dans l’organigramme de ses rapports de force,
la femme autochtone, à l’image de la femme noire des ghettos américains, végète
dans les bas-fonds les plus miséreux. On ne cesse de la violer depuis des siècles. On ne
cesse de la violer contre un flacon d’alcool ou quelques billets. On ne cesse
de la violer en toute impunité, camouflé dans les broussailles de la forêt ou
sur la banquette arrière de sa vieille Ford. C’est même le secret le mieux
gardé de l’univers colonial : violer la femme autochtone, c’est facile –
même les cochons le font.
La féroce vérité, à la fois honteuse et
sourde, c’est que les chiens de campagne ont sans doute imité leur père ou leur
grand-père ; et que les viols de Val d’Or, quand on les réinsère dans la
grande trame de l’histoire coloniale, ne forment que le bruyant écho de tout ce
que la femme autochtone a subi depuis l’arrivée des colons. Oui, la cruelle vérité, c’est qu’on ne cessera de
la violer tant et aussi longtemps qu’on n’entrera pas en rupture avec cette
grande trame.
Reste qu'on n’abandonne pas des siècles de violences comme on verse
quelques larmes pour la galerie. Si bien que le jour où l’univers colonial
tremblera, là même où les clameurs de l’indignation se font depuis quelques jours les
plus tonitruantes, les appels à la répression des sauvages pourraient être parmi les
plus intransigeants. Et c’est bien là, dans cette réversibilité aussi prévisible
qu’inattendue, que se joue la plus dangereuse hypocrisie : les dits citoyens qui s’indignent aujourd'hui dans le silence assourdissant des banlieues en
carton pourraient bien détester, le jour venu, la rumeur de la révolte qui gronde
au loin.
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